Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 1.pdf/77

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Reprenant donc pour un instant tout ce que je viens d’exposer, la masse du globe terrestre, composée de verre en fusion, ne présentait d’abord que les boursouflures et les cavités irrégulières qui se forment à la superficie de toute matière liquéfiée par le feu, et dont le refroidissement resserre les parties : pendant ce temps, et dans le progrès du refroidissement, les éléments se sont séparés, les liquations et les sublimations de substances métalliques et minérales se sont faites, elles ont occupé les cavités des terres élevées et les fentes perpendiculaires des montagnes : car ces pointes avancées au-dessus de la surface du globe s’étant refroidies les premières, elles ont aussi présenté aux éléments extérieurs les premières fentes produites par le resserrement de la matière qui se refroidissait. Les métaux et les minéraux ont été poussés par la sublimation ou déposés par les eaux dans toutes ces fentes, et c’est par cette raison qu’on les trouve presque tous dans les hautes montagnes, et qu’on ne rencontre dans les terres plus basses que des mines de nouvelle formation : peu de temps après, les argiles se sont formées, les premiers coquillages et les premiers végétaux ont pris naissance ; et, à mesure qu’ils ont péri, leurs dépouilles et leurs détriments ont fait les pierres calcaires, et ceux des végétaux ont produit les bitumes et les charbons ; et en même temps les eaux, par leur mouvement et par leurs sédiments, ont composé l’organisation de la surface de la terre par couches horizontales ; ensuite les courants de ces mêmes eaux lui ont donné sa forme extérieure par angles saillants et rentrants ; et ce n’est pas trop étendre le temps nécessaire pour toutes ces grandes opérations et ces immenses constructions de la nature que de compter vingt mille ans depuis la naissance des premiers coquillages et des premiers végétaux : ils étaient déjà très multipliés, très nombreux à la date de quarante-cinq mille ans de formation de la terre ; et comme les eaux, qui d’abord étaient si prodigieusement élevées, s’abaissèrent successivement et abandonnèrent les terres qu’elles surmontaient auparavant, ces terres présentèrent dès lors une surface toute jonchée de productions marines.

La durée du temps pendant lequel les eaux couvraient nos continents a été très longue ; l’on n’en peut pas douter en considérant l’immense quantité de productions marines qui se trouvent jusqu’à d’assez grandes profondeurs et à de très grandes hauteurs dans toutes les parties de la terre[NdÉ 1]. Et combien ne devons-nous pas encore ajouter de durée à ce temps déjà si long, pour que ces mêmes productions marines aient été brisées, réduites en poudre et transportées par le mouvement des eaux, et former ensuite les marbres, les pierres calcaires et les craies ! Cette longue suite de siècles,

  1. Buffon suppose ici que la présence de fossiles au sommet des montagnes provient de ce que la mer s’est élevée jusqu’à la hauteur de ces sommets. La vérité est que les montagnes se sont lentement soulevées après que la mer a eu déposé, à la surface de son fond, les squelettes de ses habitants.