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en ces endroits, l’eau arrivait de toutes parts pour remplir cette nouvelle profondeur, et par conséquent la hauteur générale des mers diminuait d’autant ; en sorte qu’étant d’abord à deux mille toises d’élévation, la mer a successivement baissé jusqu’au niveau où nous la voyons aujourd’hui.

On doit présumer que les coquilles et les autres productions marines que l’on trouve à de grandes hauteurs au-dessus du niveau actuel des mers sont les espèces les plus anciennes de la nature[NdÉ 1] ; et il serait important pour l’histoire naturelle de recueillir un assez grand nombre de ces productions de la mer qui se trouvent à cette plus grande hauteur, et de les comparer avec celles qui sont dans les terrains plus bas. Nous sommes assurés que les coquilles dont nos collines sont composées appartiennent en partie à des espèces inconnues, c’est-à-dire à des espèces dont aucune mer fréquentée ne nous offre les analogues vivants. Si jamais on fait un recueil de ces pétrifications prises à la plus grande élévation dans les montagnes, on sera peut-être en état de prononcer sur l’ancienneté plus ou moins grande de ces espèces, relativement aux autres. Tout ce que nous pouvons en dire aujourd’hui, c’est que quelques-uns des monuments qui nous démontrent l’existence de certains animaux terrestres et marins, dont nous ne connaissons pas les analogues vivants, nous montrent en même temps que ces animaux étaient beaucoup plus grands qu’aucune espèce du même genre actuellement subsistante : ces grosses dents molaires à pointes mousses, du poids de onze ou douze livres ; ces cornes d’Ammon, de sept à huit pieds de diamètre sur un pied d’épaisseur, dont on trouve les moules pétrifiés, sont certainement des êtres gigantesques dans le genre des animaux quadrupèdes et dans celui des coquillages. La nature était alors dans sa première force, et travaillait la matière organique et vivante avec une puissance plus active dans une température plus chaude : cette matière organique était plus divisée, moins combinée avec d’autres matières, et pouvait se réunir et se combiner avec elle-même en plus grandes masses, pour se développer en plus grandes dimensions : cette cause est suffisante pour rendre raison de toutes les productions gigantesques qui paraissent avoir été fréquentes dans ces premiers âges du monde[1].

En fécondant les mers, la nature répandait aussi les principes de vie sur toutes les terres que l’eau n’avait pu surmonter ou qu’elle avait promptement abandonnées ; et ces terres, comme les mers, ne pouvaient être peuplées que d’animaux et de végétaux capables de supporter une chaleur plus grande que celle qui convient aujourd’hui à la nature vivante. Nous avons

  1. Voyez ci-après les notes justificatives des faits.
  1. Beaucoup de ces espèces sont, au contraire, relativement peu anciennes, ce qui indique que le soulèvement des montagnes sur lesquelles on les trouve est de date beaucoup plus récente que ne l’admet Buffon. (Voyez mon Introduction.)