Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 1.pdf/67

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de leurs détriments, puisque c’est de leurs détriments qu’ont été formées toutes les couches des pierres calcaires, des marbres, des craies et des tufs qui composent nos collines et qui s’étendent sur de grandes contrées dans toutes les parties de la terre.

Or, dans les commencements de ce séjour des eaux sur la surface du globe, n’avaient-elles pas un degré de chaleur que nos poissons et nos coquillages actuellement existants n’auraient pu supporter ? et ne devons-nous pas présumer que les premières productions d’une mer encore bouillante étaient différentes de celles qu’elle nous offre aujourd’hui[NdÉ 1] ? Cette grande chaleur ne pouvait convenir qu’à d’autres natures de coquillages et de poissons ; et par conséquent c’est aux premiers temps de cette époque, c’est-à-dire depuis trente jusqu’à quarante mille ans de la formation de la terre, que l’on doit rapporter l’existence des espèces perdues dont on ne trouve nulle part les analogues vivants. Ces premières espèces, maintenant anéanties, ont subsisté pendant les dix ou quinze mille ans qui ont suivi le temps auquel les eaux venaient de s’établir.

Et l’on ne doit point être étonné de ce que j’avance ici qu’il y a eu des poissons et d’autres animaux aquatiques capables de supporter un degré de chaleur beaucoup plus grand que celui de la température actuelle de nos mers méridionales, puisque encore aujourd’hui, nous connaissons des espèces de Poissons et de plantes qui vivent et végètent dans des eaux presque bouillantes, ou du moins chaudes jusqu’à 50 et 60 degrés[1] du thermomètre[NdÉ 2].

Mais, pour ne pas perdre le fil des grands et nombreux phénomènes que nous avons à exposer, reprenons ces temps antérieurs, où les eaux jusqu’alors réduites en vapeurs se sont condensées et ont commencé de tomber sur la terre brûlante, aride, desséchée, crevassée par le feu : tâchons de nous représenter les prodigieux effets qui ont accompagné et suivi cette chute précipitée des matières volatiles, toutes séparées, combinées, sublimées dans le temps de la consolidation et pendant le progrès du premier refroidissement. La séparation de l’élément de l’air et de l’élément de l’eau, le choc des vents et des flots qui tombaient en tourbillons sur une terre fumante ; la dépuration de l’atmosphère, qu’auparavant les rayons du soleil ne pouvaient pénétrer ; cette même atmosphère obscurcie de nouveau par les nuages d’une épaisse fumée ; la cohobation mille fois répétée et le bouillon-

  1. Voyez ci-après les notes justificatives des faits.
  1. Il est difficile d’admettre qu’il y eût des organismes vivants dans la « mer encore bouillante » dont parle Buffon.
  2. On connaît, en effet, des organismes peu nombreux qui vivent dans des eaux ayant cette température, mais ce sont des organismes très inférieurs. Rien ne prouve d’ailleurs que la vie se soit montrée sur le globe au sein d’eaux ayant la température dont parle Buffon. Est-ce possible ? Personne n’oserait répondre affirmativement à cette question ; personne non plus ne pourrait y répondre négativement avec une entière certitude.