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satellites, et Saturne, qui en a cinq avec un grand anneau, doivent par cette seule raison être animés d’un certain degré de chaleur. Si ces planètes, très éloignées du soleil, n’étaient pas douées comme la terre d’une chaleur intérieure, elles seraient plus que gelées ; et le froid extrême que Jupiter et Saturne auraient à supporter, à cause de leur éloignement du soleil, ne pourrait être tempéré que par l’action de leurs satellites. Plus les corps circulants seront nombreux, grands et rapides, plus le corps qui leur sert d’essieu ou de pivot s’échauffera par le frottement intime qu’ils feront subir à toutes les parties de sa masse.

Ces idées se lient parfaitement avec celles qui servent de fondement à mon hypothèse sur la formation des planètes ; elles en sont des conséquences simples et naturelles ; mais j’ai la preuve que peu de gens ont saisi les rapports et l’ensemble de ce grand système : néanmoins y a-t-il un sujet plus élevé, plus digne d’exercer la force du génie ? On m’a critiqué sans m’entendre ; que puis-je répondre ? sinon que tout parle à des yeux attentifs, tout est indice pour ceux qui savent voir ; mais que rien n’est sensible, rien n’est clair pour le vulgaire, et même pour ce vulgaire savant qu’aveugle le préjugé. Tâchons néanmoins de rendre la vérité plus palpable ; augmentons le nombre des probabilités ; rendons la vraisemblance plus grande ; ajoutons lumières sur lumières en réunissant les faits, en accumulant les preuves, et laissons-nous juger ensuite sans inquiétude et sans appel, car j’ai toujours pensé qu’un homme qui écrit doit s’occuper uniquement de son sujet, et nullement de soi ; qu’il est contre la bienséance de vouloir en occuper les autres, et que par conséquent les critiques personnelles doivent demeurer sans réponse.

Je conviens que les idées de ce système peuvent paraître hypothétiques, étranges et même chimériques à tous ceux qui, ne jugeant les choses que par le rapport de leurs sens, n’ont jamais conçu comment on sait que la terre n’est qu’une petite planète, renflée sur l’équateur et abaissée sous les pôles, à ceux qui ignorent comment on s’est assuré que tous les corps célestes pèsent, agissent et réagissent les uns sur les autres, comment on a pu mesurer leur grandeur, leur distance, leurs mouvements, leur pesanteur, etc. ; mais je suis persuadé que ces mêmes idées paraîtront simples, naturelles et même grandes au petit nombre de ceux qui, par des observations et des réflexions suivies, sont parvenus à connaître les lois de l’univers, et qui, jugeant des choses par leurs propres lumières, les voient sans préjugé telles qu’elles sont, ou telles qu’elles pourraient être : car ces deux points de vue sont à peu près les mêmes ; et celui qui regardant une horloge pour la première fois dirait que le principe de tous ses mouvements est un ressort, quoique ce fût un poids, ne se tromperait que pour le vulgaire, et aurait aux yeux du philosophe expliqué la machine.

Ce n’est donc pas que j’aie affirmé ni même positivement prétendu que notre terre et les planètes aient été formées nécessairement et réellement