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les angles se correspondent, et coulant au milieu des ondes comme les eaux coulent sur la terre, sont en effet les fleuves de la mer.

L’air, encore plus léger, plus fluide que l’eau, obéit aussi à un plus grand nombre de puissances ; l’action éloignée du soleil et de la lune, l’action immédiate de la mer, celle de la chaleur, qui le raréfie, celle du froid, qui le condense, y causent des agitations continuelles ; les vents sont ses courants, ils poussent, ils assemblent les nuages, ils produisent les météores et transportent au-dessus de la surface aride des continents terrestres les vapeurs humides des plages maritimes ; ils déterminent les orages, répandent et distribuent les pluies fécondes et les rosées bienfaisantes ; ils troublent les mouvements de la mer, ils agitent la surface mobile des eaux, arrêtent ou précipitent les courants ; les font rebrousser, soulèvent les flots, excitent les tempêtes, la mer irritée s’élève vers le ciel, et vient en mugissant se briser contre des digues inébranlables qu’avec tous ses efforts elle ne peut ni détruire ni surmonter.

La terre élevée au-dessus du niveau de la mer est à l’abri de ses irruptions ; sa surface émaillée de fleurs, parée d’une verdure toujours renouvelée, peuplée de mille et mille espèces d’animaux différents, est un lieu de repos, un séjour de délices où l’homme, placé pour seconder la nature, préside à tous les êtres ; seul entre tous, capable de connaître et digne d’admirer, Dieu l’a fait spectateur de l’univers et témoin de ses merveilles ; l’étincelle divine dont il est animé le rend participant aux mystères divins : c’est par cette lumière qu’il pense et réfléchit, c’est par elle qu’il voit et lit dans le livre du monde comme dans un exemplaire de la Divinité.

La nature est le trône extérieur de la magnificence divine ; l’homme qui la contemple, qui l’étudie, s’élève par degrés au trône intérieur de la toute-puissance : fait pour adorer le Créateur, il commande à toutes les créatures ; vassal du ciel, roi de la terre, il l’ennoblit, la peuple et l’enrichit ; il établit entre les êtres vivants l’ordre, la subordination, l’harmonie ; il embellit la nature même, il la cultive, l’étend et la polit, en élague le chardon et la ronce, y multiplie le raisin et la rose. Voyez ces plages désertes, ces tristes contrées où l’homme n’a jamais résidé : couvertes, ou plutôt hérissées de bois épais et noirs dans toutes les parties élevées, des arbres sans écorce et sans cime, courbés, rompus, tombant de vétusté ; d’autres, en plus grand nombre, gisant au pied des premiers pour pourrir sur des monceaux déjà pourris, étouffent, ensevelissent les germes prêts à éclore. La nature, qui partout ailleurs brille par sa jeunesse, paraît ici dans la décrépitude ; la terre, surchargée par le poids, surmontée par les débris de ses productions, n’offre, au lieu d’une verdure florissante, qu’un espace encombré, traversé de vieux arbres chargés de plantes parasites, de lichens, d’agarics, fruits impurs de la corruption : dans toutes les parties basses, des eaux mortes et croupissantes, faute d’être conduites et dirigées ; des terrains fangeux, qui,