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VUES DE LA NATURE



Avertissement. — Comme les détails de l’histoire naturelle ne sont intéressants que pour ceux qui s’appliquent uniquement à cette science, et que dans une exposition aussi longue que celle de l’histoire particulière de tous les animaux il règne nécessairement trop d’uniformité, nous avons cru que la plupart de nos lecteurs nous sauraient gré de couper de temps en temps le fil d’une méthode qui nous contraint, par des Discours, dans lesquels nous donnerons nos réflexions sur la nature en général, et traiterons de ses effets en grand. Nous retournerons ensuite à nos détails avec plus de courage : car j’avoue qu’il en faut pour s’occuper continuellement de petits objets dont l’examen exige la plus froide patience et ne permet rien au génie.



PREMIÈRE VUE[NdÉ 1]

La nature est le système des lois établies par le Créateur pour l’existence des choses et pour la succession des êtres. La nature n’est point une chose, car cette chose serait tout ; la nature n’est point un être, car cet être serait Dieu ; mais on peut la considérer comme une puissance vive, immense, qui embrasse tout, qui anime tout, qui, subordonnée à celle du premier Être, n’a commencé d’agir que par son ordre, et n’agit encore que par son concours ou son consentement. Cette puissance est, de la puissance divine, la partie qui se manifeste ; c’est en même temps la cause et l’effet, le mode et la substance, le dessein et l’ouvrage : bien différente de l’art humain, dont les productions ne sont que des ouvrages morts, la nature est elle-même un ouvrage perpétuellement vivant, un ouvrier sans cesse actif, qui sait tout employer, qui travaillant d’après soi-même, toujours sur le même fonds, bien loin de l’épuiser le rend inépuisable : le temps, l’espace et la matière sont ses moyens l’univers son objet, le mouvement et la vie son but.

Les effets de cette puissance sont les phénomènes du monde ; les ressorts qu’elle emploie sont des forces vives que l’espace et le temps ne peuvent que mesurer et limiter sans jamais les détruire ; des forces qui se balancent, qui s’opposent sans pouvoir s’anéantir : les unes pénètrent et transportent les corps, les autres les échauffent et les animent ;

  1. Cette « Vue de la nature » a été publiée par Buffon en 1764, au début du XIIe volume de l’édition in-4o de l’Imprimerie royale.