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différentes de celles de Sibérie. Ces îles septentrionales situées entre les deux continents ne sont guère connues que des Tschutschis ; elles forment une chaîne entre la pointe la plus orientale de l’Asie et le continent de l’Amérique, sous le 64e degré ; et cette chaîne est séparée, par une mer ouverte, de la seconde chaîne plus méridionale, dont nous venons de parler, située sous le 56e degré, entre le Kamtschatka et l’Amérique : ce sont les îles de cette seconde chaîne que les Russes et les habitants de Kamtschatka fréquentent pour la chasse des loutres marines et des renards noirs, dont les fourrures sont très précieuses. On avait connaissance de ces îles, même des plus orientales dans cette dernière chaîne, avant l’année 1750 : l’une de ces îles porte le nom du commandeur Behring, une autre assez voisine s’appelle l’île Medenoi ; ensuite on trouve les quatre îles Aleutes ou Aleoutes, les deux premières situées un peu au-dessus et les dernières un peu au-dessous du 55e degré ; ensuite on trouve, environ au 56e degré, les îles Atkhou et Amlaïgh, qui sont les premières de la chaîne des îles aux Renards, laquelle s’étend vers le nord-est jusqu’au 61e degré de latitude : le nom de ces îles est venu du nombre prodigieux de renards qu’on y a trouvés. Les deux îles du commandeur Behring et de Medenoi étaient inhabitées lorsqu’on en fit la découverte ; mais on a trouvé dans les îles Aleutes, quoique plus avancées vers l’orient, plus d’une soixantaine de familles, dont la langue ne se rapporte ni à celle de Kamtschatka, ni à aucune de celles de l’Asie orientale, et n’est qu’un dialecte de la langue que l’on parle dans les autres îles voisines de l’Amérique ; ce qui semblerait indiquer qu’elles ont été peuplées par les Américains, et non par les Asiatiques.

Les îles nommées par l’équipage de Behring l’île Saint-Julien, Saint-Théodore, Saint-Abraham, sont les mêmes que celles qu’on appelle aujourd’hui les îles Aleutes ; et de même l’île de Chommaghin, et celle de Saint-Dolmat, indiquées par ce navigateur, font partie de celles qu’on appelle îles aux Renards.

« La grande distance, dit M. de Domascheneff, et la mer ouverte et profonde qui se trouve entre les îles Aleutes et les îles aux Renards, jointes au gisement différent de ces dernières, peuvent faire présumer que ces îles ne forment pas une chaîne marine continue ; mais que les premières, avec celles de Medenoi et de Behring, font une chaîne marine qui vient du Kamschatka, et que les îles aux Renards en représentent une autre issue de l’Amérique ; que l’une et l’autre de ces chaînes vont généralement se perdre dans la profondeur de la grande mer, et sont des promontoires des deux continents. La suite des îles aux Renards, dont quelques-unes sont d’une grande étendue, est entremêlée d’écueils et de brisants, et se continue sans interruption jusqu’au continent de l’Amérique ; mais celles qui sont les plus voisines de ce continent sont très peu fréquentées par les barques de chasseurs russes, parce qu’elles sont fort peuplées, et qu’il serait dangereux d’y séjourner : il y a plusieurs de ces îles voisines de la terre ferme de l’Amérique qui ne sont pas encore bien reconnues. Quelques navires ont cependant pénétré jusqu’à l’île de Kadjak, qui est très voisine du continent de l’Amérique ; l’on en est assuré tant sur le rapport des insulaires que par d’autres raisons : une de ces raisons est qu’au lieu que toutes les îles plus occidentales ne produisent que des arbrisseaux rabougris et rampants que les vents de pleine mer empêchent de s’élever, l’île de Kadjak, au contraire, et les petites îles voisines produisent des bosquets d’aunes qui semblent indiquer qu’elles se trouvent moins à découvert, et qu’elles sont garanties au nord et à l’est par un continent voisin. De plus, on y a trouvé des loutres d’eau douce qui ne se voient point aux autres îles, de même qu’une petite marmotte, qui paraît être la marmotte du Canada ; enfin l’on y a remarqué des traces d’ours et de loups, et les habitants se vêtissent de peaux de rennes, qui leur viennent du continent de l’Amérique, dont ils sont très voisins.

» On voit par la relation d’un voyage poussé jusqu’à l’île de Kadjak, sous la conduite d’un certain Geottof, que les insulaires nomment Atakthan le continent de l’Amérique :