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qu’à la surface : on doit donc présumer que si l’on pénétrait plus avant cette chaleur serait plus grande, et que les parties voisines du centre de la terre sont plus chaudes que celles qui en sont éloignées, comme l’on voit dans un boulet rougi au feu l’incandescence se conserver dans les parties voisines du centre longtemps après que la surface a perdu cet état d’incandescence et de rougeur. Ce feu, ou plutôt cette chaleur intérieure de la terre, est encore indiqué par les effets de l’électricité, qui convertit en éclairs lumineux cette chaleur obscure ; elle nous est démontrée par la température de l’eau de la mer, laquelle, aux mêmes profondeurs, est à peu près égale à celle de l’intérieur de la terre[1]. D’ailleurs il est aisé de prouver que la liquidité des eaux de la mer en général ne doit point être attribuée à la puissance des rayons solaires, puisqu’il est démontré par l’expérience que la lumière du soleil ne pénètre qu’à six cents pieds[2] à travers l’eau la plus limpide, et que par conséquent sa chaleur n’arrive peut-être pas au quart de cette épaisseur, c’est-à-dire à cent cinquante pieds[3] : ainsi toutes les eaux qui sont au-dessous de cette profondeur seraient glacées sans la chaleur intérieure de la terre, qui seule peut entretenir leur liquidité. Et de même, il est encore prouvé par l’expérience que la chaleur des rayons solaires ne pénètre pas à quinze ou vingt pieds dans la terre, puisque la glace se conserve à cette profondeur pendant les étés les plus chauds. Donc il est démontré qu’il y a au-dessous du bassin de la mer, comme dans les premières couches de la terre, une émanation continuelle de chaleur qui entretient la liquidité des eaux et produit la température de la terre. Donc il existe dans son intérieur une chaleur qui lui appartient en propre, et qui est tout à fait indépendante de celle que le soleil peut lui communiquer.

Nous pouvons encore confirmer ce fait général par un grand nombre de faits particuliers. Tout le monde a remarqué, dans le temps des frimas, que la neige se fond dans tous les endroits où les vapeurs de l’intérieur de la terre ont une libre issue, comme sur les puits, les aqueducs recouverts, les voûtes, les citernes, etc. ; tandis que sur tout le reste de l’espace, où la terre resserrée par la gelée intercepte ces vapeurs, la neige subsiste et se gèle au lieu de fondre. Cela seul suffirait pour démontrer que ces émanations de l’intérieur de la terre ont un degré de chaleur très réel et sensible. Mais il est inutile de vouloir accumuler ici de nouvelles preuves d’un fait constaté par l’expérience et par les observations ; il nous suffit qu’on ne puisse désormais le révoquer en doute, et qu’on reconnaisse cette chaleur intérieure de la terre comme un fait réel et général duquel, comme des autres faits généraux de la nature, on doit déduire les effets particuliers.

  1. Voyez ci-après les notes justificatives des faits.
  2. Voyez ibidem.
  3. Voyez ibidem.