Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 1.pdf/184

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

j’ai rempli le vaisseau d’eau de fontaine distillée, de façon qu’elle surnageait le grès d’environ trois ou quatre doigts de hauteur ; j’ai ensuite agité ce grès pendant l’espace de quelques minutes, et j’ai exposé le vaisseau en plein air : quelques jours après, je me suis aperçu qu’il s’était formé sur ce grès une couche de plus d’un quart de pouce d’épaisseur d’une terre jaunâtre très fine, très grasse et très ductile ; j’ai versé alors par inclinaison l’eau qui surnageait dans un autre vaisseau, et cette terre, plus légère que le grès, s’en est séparée, sans qu’il s’y soit mêlé : la quantité que j’en ai retirée par cette première lotion était trop considérable pour pouvoir penser que, dans un espace de temps aussi court, il eût pu se faire une assez grande décomposition de grès pour avoir produit autant de terre : j’ai donc jugé qu’il fallait que cette terre fût déjà dans le grès dans le même état que je l’en avais retirée, et qu’il se faisait peut-être ainsi continuellement une décomposition du grès dans sa propre mine ; j’ai rempli ensuite le vaisseau de nouvelle eau distillée ; j’ai agité le grès pendant quelques instants, et, trois jours après, j’ai encore trouvé sur ce grès une couche de terre de la même qualité que la première, mais plus mince de moitié ; ayant mis à part ces espèces de sécrétions, j’ai continué, pendant le cours de plus d’une année, cette même opération et ces expériences que j’avais commencées dans le mois d’avril ; et la quantité de terre que m’a produit ce grès a diminué peu à peu, jusqu’à ce qu’au bout de deux mois, en transvidant l’eau du vaisseau qui le contenait, je ne trouvais plus sur le grès qu’une pellicule terreuse qui n’avait pas une ligne d’épaisseur ; mais aussi pendant tout le reste de l’année, et tant que le grès a été dans l’eau, cette pellicule n’a jamais manqué de se former dans l’espace de deux ou trois jours, sans augmenter ni diminuer en épaisseur, à l’exception du temps où j’ai été obligé, par rapport à la gelée, de mettre le vaisseau à couvert, qu’il m’a paru que la décomposition du grès se faisait un peu plus lentement. Quelque temps après avoir mis ce grès dans l’eau, j’y ai aperçu une grande quantité de paillettes brillantes et argentées, comme le sont celles du talc, qui n’y étaient pas auparavant, et j’ai jugé que c’était là son premier état de décomposition ; que ses molécules, formées de plusieurs petites couches, s’exfoliaient, comme j’ai observé qu’il arrivait au verre dans certaines circonstances, et que ces paillettes s’atténuaient ensuite peu à peu dans l’eau, jusqu’à ce que, devenues si petites qu’elles n’avaient plus assez de surface pour réfléchir la lumière, elles acquéraient la forme et les propriétés d’une véritable terre : j’ai donc amassé et mis à part toutes les sécrétions terreuses que les deux livres de grès m’ont produites pendant le cours de plus d’une année ; et, lorsque cette terre a été bien sèche, elle pesait environ cinq onces : j’ai aussi pesé le grès après l’avoir fait sécher, et il avait diminué en pesanteur dans la même proportion, de sorte qu’il s’en était décomposé un peu plus de la sixième partie : toute cette terre était au reste de la même qualité, et les dernières sécrétions étaient aussi grasses, aussi ductiles que les premières, et toujours d’un jaune tirant sur l’orangé ; mais comme j’y apercevais encore quelques paillettes brillantes, quelques molécules de grès qui n’étaient pas entièrement décomposées, j’ai remis cette terre avec de l’eau dans un vaisseau de verre, et je l’ai laissée exposée à l’air, sans la remuer, pendant tout un été, ajoutant de temps en temps de nouvelle eau à mesure qu’elle s’évaporait : un mois après cette eau a commencé à se corrompre, et elle est devenue verdâtre et de mauvaise odeur : la terre paraissait être aussi dans un état de fermentation ou de putréfaction, car il s’en élevait une grande quantité de bulles d’air ; et, quoiqu’elle eût conservé à sa superficie sa couleur jaunâtre, celle qui était au fond du vaisseau était brune, et cette couleur s’étendait de jour en jour, et paraissait plus foncée ; de sorte qu’à la fin de l’été, cette terre était devenue absolument noire : j’ai laissé évaporer l’eau sans en remettre de nouvelle dans le vaisseau, et en ayant tiré la terre, qui ressemblait assez à de l’argile grise lorsqu’elle est humectée, je l’ai fait sécher à la chaleur du feu, et, lorsqu’elle a été échauffée, il m’a paru qu’elle