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nous avons parlé indiquent une espèce gigantesque relativement aux autres espèces, et même à celle de l’éléphant ; mais cette espèce gigantesque n’existe plus. D’autres grosses dents, dont la face qui broie est figurée en trèfle, comme celles des hippopotames, et qui néanmoins sont quatre fois plus grosses que celles des hippopotames actuellement subsistants, démontrent qu’il y a eu des individus très gigantesques dans l’espèce de l’hippopotame. D’énormes fémurs, plus grands et beaucoup plus épais que ceux de nos éléphants, démontrent la même chose pour les éléphants ; et nous pouvons citer encore quelques exemples qui vont à l’appui de notre opinion sur les animaux gigantesques.

On a trouvé auprès de Rome, en 1772, une tête de bœuf pétrifiée, dont le P. Jacquier a donné la description. « La longueur du front, comprise entre les deux cornes, est, dit-il, de 2 pieds 3 pouces ; la distance entre les orbites des yeux, de 14 pouces ; celle depuis la portion supérieure du front jusqu’à l’orbite de l’œil, de 1 pied 6 pouces ; la circonférence d’une corne mesurée dans le bourrelet inférieur, de 1 pied 6 pouces ; la longueur d’une corne mesurée dans toute sa courbure, de 4 pieds ; la distance des sommets des cornes, de 3 pieds ; l’intérieur est d’une pétrification très dure. Cette tête a été trouvée dans un fonds de pouzzolane à la profondeur de plus de 20 pieds[1]. »

« On voyait, en 1768, dans la cathédrale de Strasbourg, une très grosse corne de bœuf, suspendue par une chaîne à un pilier près du chœur ; elle m’a paru excéder trois fois la grandeur ordinaire de celle des plus grands bœufs. Comme elle est fort élevée, je n’ai pu en prendre les dimensions ; mais je l’ai jugée d’environ 4 pieds 1/2 de longueur, sur 7 à 8 pouces de diamètre au gros bout[2]. »

Lionel Waffer rapporte qu’il a vu au Mexique des ossements et des dents d’une prodigieuse grandeur ; entre autres une dent de 3 pouces de large sur 4 pouces de longueur, et que les plus habiles gens du pays, ayant été consultés, jugèrent que la tête ne pouvait pas avoir moins d’une aune de largeur. Waffer, Voyage en Amérique, page 367.

C’est peut-être la même dent dont parle le P. Acosta : « J’ai vu, dit-il, une dent molaire qui m’étonna beaucoup par son énorme grandeur, car elle était aussi grosse que le poing d’un homme. » Le P. Torquemado, franciscain, dit aussi qu’il a eu en son pouvoir une dent molaire deux fois aussi grosse que le poing et qui pesait plus de deux livres ; il ajoute que dans cette même ville de Mexico, au couvent de Saint-Augustin, il avait vu un os fémur si grand, que l’individu auquel cet os avait appartenu devait avoir été haut de 11 à 12 coudées, c’est-à-dire 17 à 18 pieds, et que la tête dont la dent avait été tirée était aussi grosse qu’une de ces grandes cruches dont on se sert en Castille pour mettre le vin.

Philippe Hernandès rapporte qu’on trouve à Tezcaco et à Tosuca plusieurs os de grandeur extraordinaire, et que parmi ces os il y a des dents molaires larges de cinq pouces et hautes de dix ; d’où l’on doit conjecturer que la grosseur de la tête à laquelle elles appartenaient était si énorme que deux hommes auraient à peine pu l’embrasser. Don Lorenzo Boturini Benaduci dit aussi que dans la Nouvelle-Espagne, surtout dans les hauteurs de Santa-Fé et dans le territoire de la Puebla et de Tlascallan, on trouve des os énormes et des dents molaires, dont une, qu’il conservait dans son cabinet, est cent fois plus grosse que les plus grosses dents humaines. Gigantologie espagnole, par le P. Torrubla, Journal étranger, novembre 1760.

L’auteur de cette Gigantologie espagnole attribue ces dents énormes et ces grands os à des géants de l’espèce humaine : mais est-il croyable qu’il y ait jamais eu des hommes dont la tête ait eu 8 ou 10 pieds de circonférence ? N’est-il pas même assez étonnant que, dans l’espèce de l’hippopotame ou de l’éléphant, il y en ait eu de cette grandeur ? Nous pen-

  1. Gazette de France du 25 septembre 1772, article de Rome.
  2. Note communiquée à M. de Buffon, par M. Grignon, le 24 septembre 1777.