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d’épaisseur sur une largeur indéfinie ; en sorte qu’ils composent une partie assez considérable des couches extérieures de la surface du globe, c’est-à-dire toute la matière calcaire qui, comme l’on sait, est très commune et très abondante en plusieurs contrées. Mais au-dessus des plus hauts points d’élévation, c’est-à-dire au-dessus de 1 500 ou 2 000 toises de hauteur, et souvent plus bas, on a remarqué que les sommets de plusieurs montagnes sont composés de roc vif, de granit et d’autres matières vitrescibles produites par le feu primitif, lesquelles ne contiennent en effet ni coquilles, ni madrépores, ni rien qui ait rapport aux matières calcaires. On peut donc en inférer que la mer n’a pas atteint, ou du moins n’a surmonté que pendant un petit temps, ces parties les plus élevées, et ces pentes les plus avancées de la surface de la terre[NdÉ 1].

Comme l’observation de don Ulloa, que nous venons de citer au sujet des coquilles trouvées sur les Cordillères, pourrait paraître encore douteuse, ou du moins comme isolée et ne faisant qu’un seul exemple, nous devons rapporter à l’appui de son témoignage celui d’Alphonse Barba, qui dit qu’au milieu de la partie la plus montagneuse du Pérou, on trouve des coquilles de toutes grandeurs, les unes concaves et les autres convexes, et très bien imprimées[1]. Ainsi l’Amérique, comme toutes les autres parties du monde, a également été couverte par les eaux de la mer. Et si les premiers observateurs ont cru qu’on ne trouvait point de coquilles sur les montagnes des Cordillères, c’est que ces montagnes, les plus élevées de la terre, sont pour la plus part des volcans actuellement agissants, ou des volcans éteints, lesquels par leurs éruptions ont recouvert de matières toutes les terres adjacentes ; ce qui a non seulement enfoui, mais détruit toutes les coquilles qui pouvaient s’y trouver[NdÉ 2]. Il ne serait donc pas étonnant qu’on ne rencontrât point de productions marines autour de ces montagnes, qui sont aujourd’hui ou qui ont été autrefois embrasées ; car le terrain qui les enveloppe ne doit être qu’un composé de cendres, de scories, de verre, de lave et d’autres matières brûlées ou vitrifiées ; ainsi il n’y a d’autre fondement à l’opinion de ceux qui prétendent que la mer n’a pas couvert les montagnes, si ce n’est qu’il y a plusieurs de leurs sommets où l’on ne voit aucune coquille ni autres productions marines. Mais comme on trouve en une infinité d’endroits et jusqu’à 1 500 et 2 000 toises de hauteur, des coquilles et d’autres productions de la mer, il est évident qu’il y a eu peu de pointes ou crêtes de montagnes qui n’aient été surmontées par les eaux, et que les endroits où on ne trouve point de coquilles, indiquent seulement que les animaux qui les ont produites ne s’y sont pas habitués, et que les mouvements de la mer n’y ont point amené les débris de ses productions, comme elle en a amené sur tout le reste de la surface du globe.


(21) Page 51, ligne 21. Des espèces de poissons et de plantes qui vivent et végètent dans des eaux chaudes, jusqu’à 50 et 60 degrés du thermomètre. On avait plusieurs exemples de plantes qui croissent dans les eaux thermales les plus chaudes, et M. Sonnerat a trouvé des poissons dans une eau dont la chaleur était si active, qu’il ne pouvait y plonger la

  1. Métallurgie d’Alphonse Barba, t. Ier, p. 64. Paris, 1751.
  1. Voyez la note de la page 155.
  2. Buffon avait compris, on le voit par ce passage, l’importance des phénomènes métamorphiques. La raison qu’il donne ici pour expliquer l’absence de fossiles dans une partie des roches qui forment les Cordillères a été utilisée par certains géologues en faveur de l’opinion que les roches sans fossiles actuelles ne sont pas des roches ignées primitives, mais simplement des roches sédimentaires d’origine plus ou moins ancienne, remaniées par les eaux, transformées par la chaleur et par des phénomènes chimiques, et devenues cristallines en même temps que disparaissaient les fossiles qu’elles avaient pu contenir, puis soulevées par la pression de bas en haut qui s’exerce dans l’épaisseur de la croûte terrestre.