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Dès l’année 1748, M. Fabri, qui avait fait de grandes courses dans le nord de la Louisiane et dans le sud du Canada, m’avait informé qu’il avait vu des têtes et des squelettes d’un animal quadrupède d’une grandeur énorme, que les sauvages appelaient le père-aux-bœufs, et que les os fémurs de ces animaux avaient 5 et jusqu’à 6 pieds de hauteur. Peu de temps après, et avant l’année 1767, quelques personnes à Paris avaient déjà reçu quelques-unes des grosses dents de l’animal inconnu, d’autres d’hippopotames, et aussi des ossements d’éléphants trouvés en Canada : le nombre en est trop considérable pour qu’on puisse douter que ces animaux n’aient pas autrefois existé dans les terres septentrionales de l’Amérique, comme dans celles de l’Asie et de l’Europe.

Mais les éléphants ont aussi existé dans toutes les contrées tempérées de notre continent : j’ai fait mention des défenses trouvées en Languedoc, près de Simorre, et de celles trouvées à Cominges, en Gascogne ; je dois y ajouter la plus belle et la plus grande de toutes, qui nous a été donnée en dernier lieu pour le Cabinet du Roi, par M. le duc de La Rochefoucauld, dont le zèle pour le progrès des sciences est fondé sur les grandes connaissances qu’il a acquises dans tous les genres. Il a trouvé ce beau morceau en visitant, avec M. Desmarets, de l’Académie des sciences, les campagnes aux environs de Rome : cette défense était divisée en cinq fragments, que M. le duc de La Rochefoucauld fit recueillir ; l’un de ces fragments fut soustrait par le crocheteur qui en était chargé, et il n’en est resté que quatre, lesquels ont environ 8 pouces de diamètre ; en les rapprochant, ils forment une longueur de 7 pieds ; et nous savons par M. Desmarets que le cinquième fragment, qui a été perdu, avait près de 3 pieds : ainsi l’on peut assurer que la défense entière devait avoir environ 10 pieds de longueur. En examinant les cassures, nous y avons reconnu tous les caractères de l’ivoire de l’éléphant ; seulement cette ivoire, altéré par un long séjour dans la terre est devenu léger et friable comme les autres ivoires fossiles.

M. Tozzetti, savant naturaliste d’Italie, rapporte qu’on a trouvé, dans les vallées de l’Arno, des os d’éléphants et d’autres animaux terrestres en grande quantité, et épars çà et là dans les couches de la terre, et il dit qu’on peut conjecturer que les éléphants étaient anciennement des animaux indigènes à l’Europe, et surtout à la Toscane. — Extrait d’une lettre du docteur Tozzetti, Journal étranger, mois de décembre 1755.

« On trouva, dit M. Coltellini, vers la fin du mois de novembre 1759, dans un bien de campagne appartenant au marquis Pétrella et situé à Fusigliano, dans le territoire de Cortone, un morceau d’os d’éléphant incrusté en grande partie d’une matière pierreuse… Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on a trouvé de pareils os fossiles dans nos environs.

» Dans le cabinet de M. Galeotto Corazzi, il y a un autre grand morceau de défense d’éléphant pétrifié et trouvé ces dernières années dans les environs de Cortone, au lieu appelé la Selva… Ayant comparé ces fragments d’os avec un morceau de défense d’éléphant venu depuis peu d’Asie, on a trouvé qu’il y avait entre eux une ressemblance parfaite.

» M. l’abbé Mearini m’apporta, au mois d’avril dernier, une mâchoire entière d’élephant qu’il avait trouvée dans le district de Farneta, village de ce diocèse. Cette mâchoire est pétrifiée en grande partie, et surtout des deux côtés où l’incrustation pierreuse s’élève à la hauteur d’un pouce, et a toute la dureté de la pierre.

» Je dois enfin à M. Muzio Angelieri Alticozzi, gentilhomme de cette ville, un fémur presque entier d’éléphant, qu’il a découvert lui-même dans un de ses biens de campagne appelé la Rota, situé dans le territoire de Cortone. Cet os, qui est long d’une brasse de Florence, est aussi pétrifié, surtout dans l’extrémité supérieure qu’on appele la tête… » Lettre de M. Louis Coltellini, de Cortone. Journal étranger, mois de juillet 1761.