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une autre dent toute pareille, mais moins grosse, et qui ne pèse que 3 livres 12 onces 1/2 (pl. III, fig. 1 et 2). Enfin, la plus grosse de celles que M. Collinson m’avait envoyées, et qui est représentée (pl. IV), a été trouvée avec plusieurs autres semblables en Amérique, près de la rivière d’Ohio ; et d’autres qui nous sont venues du Canada leur ressemblent parfaitement. L’on ne peut donc pas douter qu’indépendamment de l’éléphant et de l’hippopotame, dont on trouve également les dépouilles dans les deux continents, il n’y eût encore un autre animal commun aux deux continents d’une grandeur supérieure à celle même des plus grands éléphants ; car la forme carrée de ces énormes dents mâchelières prouve qu’elles étaient en nombre dans la mâchoire de l’animal, et quand on n’y en supposerait six ou même quatre de chaque côté, on peut juger de l’énormité d’une tête qui aurait au moins seize dents mâchelières pesant chacune dix ou onze livres[NdÉ 1]. L’éléphant n’en a que quatre, deux de chaque côté[NdÉ 2] ; elles sont aplaties, elles occupent tout l’espace de la mâchoire, et ces deux dents molaires de l’éléphant fort aplaties ne surpassent que de deux pouces la largeur de la plus grosse dent carrée de l’animal inconnu, qui est du double plus épaisse que celle de l’éléphant : ainsi tout nous porte à croire que cette ancienne espèce, qu’on doit regarder comme la première et la plus grande de tous les animaux terrestres, n’a subsisté que dans les premiers temps et n’est pas parvenue jusqu’à nous ; car un animal dont l’espèce serait plus grande que celle de l’éléphant, ne pourrait se cacher nulle part sur la terre au point de demeurer inconnu ; et, d’ailleurs, il est évident par la forme même de ces dents, par leur émail et par la disposition de leurs racines, qu’elles n’ont aucun rapport aux dents des cachalots ou autres cétacés et qu’elles ont réellement appartenu à un animal terrestre dont l’espèce était plus voisine de celle de l’hippopotame que d’aucune autre.

Dans la suite du mémoire que j’ai cité ci-dessus, M. Collinson dit que plusieurs personnes de la Société royale connaissent aussi bien que lui les défenses d’éléphant que l’on trouve tous les ans en Sibérie sur les bords du fleuve Obi et des autres rivières de cette contrée. Quel système établira-t-on, ajoute-t-il avec quelque degré de probabilité, pour rendre raison de ces dépôts d’ossements d’éléphants en Sibérie et en Amérique ? Il finit par donner l’énumération, les dimensions et le poids de toutes ces dents, trouvées dans le marais salé de la rivière d’Ohio, dont la plus grosse dent carrée appartenait au capitaine Ourry, et pesait six livres et demie.

Dans le second petit Mémoire de M. Collinson, lu à la Société royale de Londres, le 10 décembre 1767, il dit que, s’étant aperçu qu’une des défenses trouvées dans le marais salé avait des stries près du gros bout, il avait eu quelques doutes si ces stries étaient particulières ou non à l’espèce de l’éléphant : pour se satisfaire, il alla visiter le magasin d’un marchand qui fait commerce de dents de toutes espèces, et qu’après les avoir bien examinées il trouva qu’il y avait autant de défenses striées au gros bout que d’unies, et que par conséquent il ne faisait plus aucune difficulté de prononcer que ces défenses trouvées en Amérique ne fussent semblables à tous égards aux défenses des éléphants d’Afrique et d’Asie : mais, comme les grosses dents carrés trouvées dans le même lieu n’ont aucun rapport avec les dents molaires de l’éléphant, il pense que ce sont les restes de quelque animal énorme qui avait les défenses de l’éléphant, avec des dents molaires particulières à son espèce, laquelle est d’une grandeur et d’une forme différente de celle d’aucun animal connu. Voyez les Transactions philosophiques de l’année 1767.

  1. Ces dents n’existent pas simultanément ; elles apparaissent les unes après les autres d’avant en arrière, et il n’en existe jamais plus de deux simultanément de chaque côté. Il s’en développe ainsi, non pas seize comme le dit Buffon, mais vingt-quatre.
  2. C’est dix molaires et non quatre que présente l’éléphant de chaque côté et à chaque mâchoire ; ce qui fait en tout vingt-quatre molaires.