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Extrait du Journal du voyage de M. Croghan, fait sur la rivière d’Ohio et envoyé à M. Franklin au mois de mai 1765.

« Nous avons passé la grande rivière de Miame, et le soir nous sommes arrivés à l’endroit où l’on a trouvé des os d’éléphants ; il peut y avoir 640 milles de distance du fort Pitt. Dans la matinée, j’allai voir la grande place marécageuse où les animaux sauvages se rendent dans de certains temps de l’année ; nous arrivâmes à cet endroit par une route battue par les bœufs sauvages (bisons), éloigné d’environ quatre milles au sud-est du fleuve Ohio. Nous vîmes de nos yeux qu’il se trouve dans ces lieux une grande quantité d’ossements, les uns épars, les autres enterrés à cinq ou six pieds sous terre, que nous vîmes dans l’épaisseur du banc de terre qui borde cette espèce de route. Nous trouvâmes là deux défenses de six pieds de longueur, que nous transportâmes à notre bord, avec d’autres os et des dents ; et, l’année suivante, nous retournâmes au même endroit prendre encore un plus grand nombre d’autres défenses et d’autres dents.

» Si M. de Buffon avait des doutes et des questions à faire sur cela, je le prie, dit M. Collinson, de me les envoyer : je ferais passer sa lettre à M. Croghan, homme très honnête et éclairé, qui serait charmé de satisfaire à ses questions. » Ce petit mémoire était joint à la lettre que je viens de citer, et à laquelle je vais ajouter l’extrait de ce que M. Collinson m’avait écrit auparavant, au sujet de ces mêmes ossements trouvés en Amérique.

« Il y avait, à environ un mille et demi de la rivière d’Ohio, six squelettes monstrueux enterrés debout, portant des défenses de cinq à six pieds de long, qui étaient de la forme et de la substance des défenses d’éléphants ; elles avaient trente pouces de circonférence à la racine ; elles allaient en s’amincissant jusqu’à la pointe ; mais on ne peut pas bien connaître comment elles étaient jointes à la mâchoire, parce qu’elles étaient brisées en pièces ; un fémur de ces mêmes animaux fut trouvé bien entier : il pesait cent livres, et avait 4 1/2 pieds de long : ces défenses et ces os de la cuisse font voir que l’animal était d’une prodigieuse grandeur. Ces faits ont été confirmés par M. Greenwood, qui, ayant été sur les lieux, a vu les six squelettes dans le marais salé ; il a de plus trouvé dans le même lieu de grosses dents mâchelières, qui ne paraissent pas appartenir à l’éléphant, mais plutôt à l’hippopotame ; et il a rapporté quelques-unes de ces dents à Londres, deux entre autres qui pesaient ensemble 9 1/4 livres. Il dit que l’os de la mâchoire avait près de trois pieds de longueur, et qu’il était trop lourd pour être porté par deux hommes : il avait mesuré l’intervalle entre l’orbite des deux yeux, qui était de 12 pouces. Une Anglaise faite prisonnière par les sauvages, et conduite à ce marais salé pour leur apprendre à faire du sel en faisant évaporer l’eau, a déclaré se souvenir, par une circonstance singulière, d’avoir vu ces ossements énormes ; elle racontait que trois Français, qui cassaient des noix, étaient tous trois assis sur un seul de ces grands os de la cuisse. »

Quelque temps après m’avoir écrit ces lettres, M. Collinson lut à la Société royale de Londres deux petits mémoires sur ce même sujet et dans lesquels j’ai trouvé quelques faits de plus que je vais rapporter, en y joignant un mot d’explication sur les choses qui en ont besoin.

« Le marais salé l’on a trouvé les os d’éléphants n’est qu’à quatre milles de distance des bords de la rivière d’Ohio, mais il est éloigné de plus de sept cents milles de la plus prochaine côte de la mer. Il y avait un chemin frayé par les bœufs sauvages (bisons), assez large pour deux chariots de front, qui menait droit à la place de ce grand