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très bas. Ces faits, qui sont certains, ne démontrent-ils pas qu’on ferait cesser ces pluies continuelles de huit mois, et qu’on augmenterait prodigieusement la chaleur dans toute cette contrée, si l’on détruisait les forêts qui la couvrent, si l’on y resserrait les eaux en dirigeant les fleuves, et si la culture de la terre, qui suppose le mouvement et le grand nombre des animaux et des hommes, chassait l’humidité froide et superflue, que le nombre infiniment trop grand des végétaux attire, entretient et répand ?

Comme tout mouvement, toute action produit de la chaleur, et que tous les êtres doués du mouvement progressif sont eux-mêmes autant de petits foyers de chaleur, c’est de la proportion du nombre des hommes et des animaux à celui des végétaux que dépend (toutes choses égales d’ailleurs) la température locale de chaque terre en particulier[NdÉ 1] ; les premiers répandent de la chaleur, les seconds ne produisent que de l’humidité froide : l’usage habituel que l’homme fait du feu ajoute beaucoup à cette température artificielle dans tous les lieux où il habite en nombre. À Paris, dans les grands froids, les thermomètres, au faubourg Saint-Honoré, marquent 2 ou 3 degrés de froid de plus qu’au faubourg Saint-Marceau, parce que le vent du nord se tempère en passant sur les cheminées de cette grande ville. Une seule forêt de plus ou de moins dans un pays suffit pour en changer la température : tant que les arbres sont sur pied, ils attirent le froid, ils diminuent par leur ombrage la chaleur du soleil, ils produisent des vapeurs humides qui forment des nuages et retombent en pluie, d’autant plus froide qu’elle descend de plus haut ; et si ces forêts sont abandonnées à la seule nature, ces mêmes arbres tombés de vétusté pourrissent froidement sur la terre, tandis qu’entre les mains de l’homme, ils servent d’aliment à l’aliment du feu, et deviennent les causes secondaires de toute chaleur particulière. Dans les pays de prairies, avant la récolte des herbes, on a toujours des rosées abondantes et très souvent de petites pluies, qui cessent dès que ces herbes sont levées : ces petites pluies deviendraient donc plus abondantes et ne cesseraient pas, si nos prairies, comme les savanes de l’Amérique, étaient toujours couvertes d’une même quantité d’herbes qui, loin de diminuer, ne peut qu’augmenter par l’engrais de toutes celles qui se dessèchent et pourrissent sur la terre.

Je donnerais aisément plusieurs autres exemples[1], qui tous concourent

  1. Voyez ci-après les notes justificatives des faits.
  1. Buffon ne pouvait pas se rendre compte de toutes les relations qui existent au point de vue du calorique entre les animaux et les végétaux, et ce qu’il en dit ici n’a de valeur qu’à un point de vue restreint. Il est bien exact que la présence des forêts détermine la chute de pluies plus abondantes et la formation de ruisseaux qui déterminent un abaissement local de la température, mais ce n’est là qu’un point relativement peu important. Ce qui nous intéresse le plus au point de vue de la biologie générale, c’est que les végétaux emmagasinent de la chaleur que les animaux consomment ensuite et qu’ils transforment en mouvement. Ce sont, en effet, les végétaux qui, à l’aide de leur matière colorante verte et sous l’influence de la lumière solaire, fabriquent de toutes pièces, à l’aide des matériaux inorga-