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circonstances se sont trouvées réunies dans le centre du continent de l’Asie, depuis le 40e degré de latitude jusqu’au 55e. Les fleuves qui portent leurs eaux dans la mer du Nord, dans l’océan Oriental, dans les mers du midi et dans la Caspienne, partent également de cette région élevée qui fait aujourd’hui partie de la Sibérie méridionale et de la Tartarie : c’est donc dans cette terre plus élevée, plus solide que les autres, puisqu’elle leur sert de centre et qu’elle est éloignée de près de cinq cents lieues de tous les océans ; c’est dans cette contrée privilégiée que s’est formé le premier peuple digne de porter ce nom, digne de tous nos respects, comme créateur des sciences, des arts et de toutes nos institutions utiles : cette vérité nous est également démontrée par les monuments de l’histoire naturelle et par les progrès presque inconcevables de l’ancienne astronomie ; comment des hommes si nouveaux ont-ils pu trouver la période lunisolaire de six cents ans[1] ? Je me borne à ce seul fait, quoiqu’on puisse en citer beaucoup d’autres tout aussi merveilleux et tout aussi constants. Ils savaient donc autant d’astronomie qu’en savait de nos jours Dominique Cassini, qui le premier a démontré la réalité et l’exactitude de cette période de six cents ans ; connaissance à laquelle ni les Chaldéens, ni les Égyptiens, ni les Grecs ne sont pas arrivés ; connaissance qui suppose celle des mouvements précis de la lune et de la terre, et qui exige une grande perfection dans les instruments nécessaires aux observations ; connaissance qui ne peut s’acquérir qu’après avoir tout acquis, laquelle n’étant fondée que sur une longue suite de recherches, d’études et de travaux astronomiques, suppose au moins deux ou trois mille ans de culture à l’esprit humain pour y parvenir.

Ce premier peuple a été très heureux, puisqu’il est devenu très savant ; il a joui pendant plusieurs siècles de la paix, du repos, du loisir nécessaires à cette culture de l’esprit de laquelle dépend le fruit de toutes les autres cultures : pour se douter de la période de six cents ans, il fallait au moins douze cents ans d’observations ; pour l’assurer comme fait certain, il en a fallu plus du double ; voilà donc déjà trois mille ans d’études astronomiques, et nous n’en serons pas étonnés, puisqu’il a fallu ce même temps aux astronomes en les comptant depuis les Chaldéens jusqu’à nous pour reconnaître cette période ; et ces premiers trois mille ans d’observations astronomiques n’ont-ils pas été nécessairement précédés de quelques siècles où la science n’était pas née ? Six mille ans à compter de ce jour, sont-ils suffisants pour remonter à l’époque la plus noble de l’histoire de l’homme, et même pour le suivre dans les premiers progrès qu’il a faits dans les arts et dans les sciences ?

Mais malheureusement elles ont été perdues, ces hautes et belles sciences,

  1. Voyez ci-après les notes justificatives des faits.