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SEPTIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE

LORSQUE LA PUISSANCE DE L’HOMME A SECONDÉ CELLE DE LA NATURE.

Les premiers hommes, témoins des mouvements convulsifs de la terre, encore récents et très fréquents, n’ayant que les montagnes pour asiles contre les inondations, chassés souvent de ces mêmes asiles par le feu des volcans, tremblants sur une terre qui tremblait sous leurs pieds, nus d’esprit et de corps, exposés aux injures de tous les éléments, victimes de la fureur des animaux féroces, dont ils ne pouvaient éviter de devenir la proie ; tous également pénétrés du sentiment commun d’une terreur funeste, tous également pressés par la nécessité, n’ont-ils pas très promptement cherché à se réunir, d’abord pour se défendre par le nombre, ensuite pour s’aider et travailler de concert à se faire un domicile et des armes ? Ils ont commencé par aiguiser en forme de haches ces cailloux durs, ces jades, ces pierres de foudre, que l’on a cru tombées des nues et formées par le tonnerre, et qui néanmoins ne sont que les premiers monuments de l’art de l’homme dans l’état de pure nature : il aura bientôt tiré du feu de ces mêmes cailloux en les frappant les uns contre les autres ; il aura saisi la flamme des volcans, ou profité du feu de leurs laves brûlantes pour le communiquer, pour se faire jour dans les forêts, les broussailles ; car avec le secours de ce puissant élément, il a nettoyé, assaini, purifié les terrains qu’il voulait habiter ; avec la hache de pierre, il a tranché, coupé les arbres, menuisé le bois, façonné les armes et les instruments de première nécessité ; et, après s’être munis de massues et d’autres armes pesantes et défensives, ces premiers hommes n’ont-ils pas trouvé le moyen d’en faire d’offensives plus légères pour atteindre de loin ? Un nerf, un tendon d’animal, des fils d’aloès ou l’écorce souple d’une plante ligneuse leur ont servi de corde pour réunir les deux extrémités d’une branche élastique dont ils ont fait leur arc ; ils ont aiguisé d’autres petits cailloux pour en armer la flèche ; bientôt ils auront eu des filets, des radeaux, des canots, et s’en sont tenus là tant qu’ils n’ont formé que de petites nations composées de quelques familles, ou plutôt de parents issus d’une même famille, comme nous le voyons encore aujourd’hui chez les sauvages qui veulent demeurer sauvages, et qui le peuvent, dans les lieux où l’espace libre ne leur manque pas plus que le gibier, le poisson et les fruits. Mais dans tous ceux où l’espace s’est trouvé confiné par les eaux ou resserré les hautes montagnes, ces petites nations devenues par trop nombreuses, ont été forcées de partager leur terrain entre elles, et c’est de ce moment que la terre est devenue le domaine de l’homme ; il en a