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principale, actuellement subsistante dans ces terres du midi, qui n’ait existé précédemment dans les terres du nord, puisqu’on y trouve des défenses et des ossements d’éléphants, des squelettes de rhinocéros, des dents d’hippopotames et des têtes monstrueuses de bœufs, qui ont frappé par leur grandeur, et qu’il est plus que probable qu’on y a trouvé de même des débris de plusieurs autres espèces moins remarquables ; en sorte que si l’on veux distinguer dans les terres méridionales de notre continent les animaux qui y sont arrivés du nord, de ceux que cette même terre a pu produire par ses propres forces, on reconnaîtra que tout ce qu’il y a de colossal et de grand dans la nature a été formé dans les terres du nord, et que si celles de l’équateur ont produit quelques animaux, ce sont des espèces inférieures, bien plus petites que les premières.

Mais ce qui doit faire douter de cette production, c’est que ces espèces que nous supposons ici produites par les propres forces des terres méridionales de notre continent auraient dû ressembler aux animaux des terres méridionales de l’autre continent, lesquels n’ont de même été produits que par la propre force de cette terre isolée ; c’est néanmoins tout le contraire, car aucun des animaux de l’Amérique méridionale ne ressemble assez aux animaux des terres du midi de notre continent pour qu’on puisse les regarder comme de la même espèce ; ils sont pour la plupart d’une forme si différente que ce n’est qu’après un long examen qu’on peut les soupçonner d’être les représentants de quelques-uns de ceux de notre continent. Quelle différence de l’éléphant au tapir, qui cependant est de tous le seul qu’on puisse lui comparer, mais qui s’en éloigne déjà beaucoup par la figure, et prodigieusement par la grandeur ; car ce tapir, cet éléphant du nouveau monde, n’a ni trompe ni défenses, et n’est guère plus grand qu’un âne. Aucun animal de l’Amérique méridionale ne ressemble au rhinocéros : aucun à l’hippopotame, aucun à la girafe ; et quelle différence encore entre le lama et le chameau quoiqu’elle soit moins grande qu’entre le tapir et l’éléphant !

L’établissement de la nature vivante, surtout de celle des animaux terrestres, s’est donc fait dans l’Amérique méridionale, bien postérieurement à son séjour déjà fixé dans les terres du nord, et peut-être la différence du temps est-elle de plus de quatre ou cinq mille ans : nous avons exposé une partie des faits et des raisons qui doivent faire penser que le nouveau monde, surtout dans ses parties méridionales, est une terre plus récemment peuplée que celle de notre continent ; que la nature, bien loin d’y être dégénérée par vétusté, y est au contraire née tard et n’y a jamais existé avec les mêmes forces, la même puissance active que dans les contrées septentrionales, car on ne peut douter, après ce qui vient d’être dit, que les grandes et premières formations des êtres animés ne soient faites dans les terres élevées du nord, d’où elles ont successivement passé dans les contrées du midi sous la même forme et sans avoir rien perdu que sur les dimensions de leur gran-