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nouveau continent comme ils l’ont fait dans l’ancien, tant en Asie qu’en Afrique ? En effet, si l’on considère la surface de ce nouveau continent, on voit que les parties méridionales voisines de l’isthme de Panama sont occupées par de très hautes montagnes : les éléphants n’ont pu franchir ces barrières invincibles pour eux, à cause du trop grand froid qui se fait sentir sur ces hauteurs ; ils n’auront donc pas été au delà des terres de l’isthme, et n’auront subsisté dans l’Amérique septentrionale qu’autant qu’aura duré dans cette terre le degré de chaleur nécessaire à leur multiplication. Il en est de même de tous les autres animaux des parties méridionales de notre continent, aucun ne s’est trouvé dans les parties méridionales de l’autre. J’ai démontré cette vérité par un si grand nombre d’exemples, qu’on ne peut la révoquer en doute[1].

Les animaux, au contraire, qui peuplent actuellement nos régions tempérées et froides se trouvent également dans les parties septentrionales des deux continents ; ils y sont nés postérieurement aux premiers et s’y sont conservés, parce que leur nature n’exige pas une aussi grande chaleur. Les rennes et les autres animaux qui ne peuvent subsister que dans les climats les plus froids sont venus les derniers, et qui sait si par succession de temps, lorsque la terre sera plus refroidie, il ne paraîtra pas de nouvelles espèces dont le tempérament différera de celui du renne autant que la nature du renne diffère à cet égard de celle de l’éléphant ? Quoi qu’il en soit, il est certain qu’aucuns des animaux propres et particuliers aux terres méridionales de notre continent ne se sont trouvés dans les terres méridionales de l’autre, et que même dans le nombre des animaux communs à notre continent et à celui de l’Amérique septentrionale, dont les espèces sont se conservées dans tous deux, à peine peut-on en citer une qui soit arrivée à l’Amérique méridionale. Cette partie du monde n’a donc pas été peuplée comme toutes les autres ni dans le même temps ; elle est demeurée pour ainsi dire isolée et séparée du reste de la terre par les mers et par ses hautes montagnes. Les premiers animaux terrestres, nés dans les terres du nord, n’ont donc pu s’établir par communication dans ce continent méridional de l’Amérique, ni subsister dans son continent septentrional qu’autant qu’il a conservé le degré de chaleur nécessaire à leur propagation ; et cette terre de l’Amérique méridionale, réduite à ses propres forces, n’a enfanté que des animaux plus faibles et beaucoup plus petits que ceux qui sont venus du nord pour peupler nos contrées du midi.

Je dis que les animaux qui peuplent aujourd’hui les terres du midi de notre continent y sont venus du nord, et je crois pouvoir l’affirmer avec tout fondement : car, d’une part, les monuments que nous venons d’exposer le démontrent, et d’autre côté nous ne connaissons aucune espèce grande et

  1. Voyez les trois Discours sur les animaux des deux continents.