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l’Asie et de l’Amérique ; ce qui nous fait connaître que les deux continents étaient alors contigus, et qu’ils n’ont été séparés que dans des temps subséquents. J’ai dit que nous avions au Cabinet du Roi des défenses d’éléphants trouvées en Russie et en Sibérie, et d’autres qui ont été trouvées au Canada, près de la rivière d’Ohio. Les grosses dents molaires de l’hippopotame et de l’énorme animal dont l’espèce est perdue[NdÉ 1], nous sont arrivées du Canada, et d’autres toutes semblables sont venues de Tartarie et de Sibérie. On ne peut donc pas douter que ces animaux, qui n’habitent aujourd’hui que les terres du midi de notre continent, n’existassent aussi dans les terres septentrionales de l’autre et dans le même temps, car la terre était également chaude ou refroidie au même degré dans tous deux. Et ce n’est pas seulement dans les terres du nord qu’on a trouvé ces dépouilles d’animaux du midi, mais elles se trouvent encore dans tous les pays tempérés, en France, en Allemagne, en Italie, en Angleterre, etc. Nous avons sur cela des monuments authentiques, c’est-à-dire des défenses d’éléphants et d’autres ossements de ces animaux trouvés dans plusieurs provinces de l’Europe.

Dans les temps précédents, ces mêmes terres septentrionales étaient recouvertes par les eaux de la mer, lesquelles, par leur mouvement, y ont produit les mêmes effets que partout ailleurs : elles en ont figuré les collines, elles les ont composées de couches horizontales, elles ont déposé les argiles et les matières calcaires en forme de sédiment : car on trouve dans ces terres du nord, comme dans nos contrées, les coquillages et les débris des autres productions marines enfouies à d’assez grandes profondeurs dans l’intérieur de la terre, tandis que ce n’est pour ainsi dire qu’à sa superficie, c’est-à-dire à quelques pieds de profondeur, que l’on trouve les squelettes d’éléphants, de rhinocéros, et les autres dépouilles des animaux terrestres.

Il paraît même que ces premiers animaux terrestres étaient, comme les premiers animaux marins, plus grands qu’ils ne le sont aujourd’hui. Nous avons parlé de ces énormes dents carrées à pointes mousses, qui ont appartenu à un animal plus grand que l’éléphant, et dont l’espèce ne subsiste plus ; nous avons indiqué ces coquillages en volutes, qui ont jusqu’à huit pieds de diamètre sur un pied d’épaisseur[NdÉ 2], et nous avons vu de même des défenses, des dents, des omoplates, des fémurs d’éléphants d’une taille supérieure à celle des éléphants actuellement existants. Nous avons reconnu, par la comparaison immédiate des dents mâchelières des hippopotames d’aujourd’hui avec les grosses dents qui nous sont venues de la Sibérie et du Canada, que les anciens hippopotames auxquels ces grosses dents ont autrefois appartenu, étaient au moins quatre fois plus volumineux que ne le

  1. L’animal fossile que Buffon désigne ici sous le nom d’hippopotame est le Mastodonte.
  2. Les ammonites. Il en existait des espèces énormes.