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les montagnes et toutes les inégalités de la surface du globe, que cette même surface a subi des changements très considérables, et qu’à de grandes profondeurs, comme sur les plus grandes hauteurs, on trouve des os, des coquilles et d’autres dépouilles d’animaux, habitants des mers ou de la surface de la terre.

On peut conjecturer, par ce qui vient d’être dit, que, pour trouver la terre ancienne et les matières qui n’ont jamais été remuées, il faudrait creuser dans les climats voisins des pôles, où la couche de terre remuée doit être plus mince que dans les climats méridionaux.

Au reste, si l’on examine de près les mesures par lesquelles on a déterminé la figure de la terre, on verra bien qu’il entre de l’hypothétique dans cette détermination ; car elle suppose que la terre a une figure courbe régulière, au lieu qu’on peut penser que la surface du globe ayant été altérée par une grande quantité de causes combinées à l’infini, elle n’a peut-être aucune figure régulière, et dès lors la terre pourrait bien n’être en effet aplatie que d’une 230e partie, comme le dit Newton, et comme la théorie le demande. D’ailleurs, on sait bien que, quoiqu’on ait exactement la longueur du degré au cercle polaire et à l’équateur, on n’a pas aussi exactement la longueur du degré en France, et que l’on n’a pas vérifié la mesure de M. Picard. Ajoutez à cela que la diminution et l’augmentation du pendule ne peuvent pas s’accorder avec le résultat des mesures, et qu’au contraire elles s’accordent à très peu près avec la théorie de Newton ; en voilà plus qu’il n’en faut pour qu’on puisse croire que la terre n’est réellement aplatie que d’une 230e partie, et que, s’il y a quelque différence, elle ne peut venir que des inégalités que les eaux et les autres causes extérieures ont produites à la surface ; et ces inégalités étant, selon toutes les apparences, plus irrégulières que régulières, on ne doit pas faire d’hypothèse sur cela, ni supposer, comme on l’a fait, que les méridiens sont des ellipses ou d’autres courbes régulières ; d’où l’on voit que, quand on mesurerait successivement plusieurs degrés de la terre dans tous les sens, on ne serait pas encore assuré par là de la quantité d’aplatissement qu’elle peut avoir de moins ou de plus que la 230e partie.

Ne doit-on pas conjecturer aussi que, si l’inclinaison de l’axe de la terre a changé, ce ne peut être qu’en vertu des changements arrivés à la surface, puisque tout le reste du globe est homogène, que par conséquent cette variation est trop peu sensible pour être aperçue par les astronomes, et qu’à moins que la terre ne soit rencontrée par quelque comète, ou dérangée par quelque autre cause extérieure, son axe demeurera perpétuellement incliné comme il l’est aujourd’hui, et comme il l’a toujours été ?

Et, afin de n’omettre aucune des conjectures qui me paraissent raisonnables, ne peut-on pas dire que, comme les montagnes et les inégalités qui sont à la surface de la terre ont été formées par l’action du flux et reflux, les montagnes et les inégalités que nous remarquons à la surface de la lune ont été produites par une cause semblable ; qu’elles sont beaucoup plus élevées que celles de la terre, parce que le flux et reflux y est beaucoup plus fort, puisqu’ici c’est la lune, et là c’est la terre qui le cause, dont la masse étant beaucoup plus considérable que celle de la lune devrait produire des effets beaucoup plus grands, si la lune avait, comme la terre, un mouvement de rotation rapide par lequel elle nous présenterait successivement toutes les parties de sa surface ; mais, comme la lune présente toujours la même face à la terre, le flux et le reflux ne peuvent s’exercer dans cette planète qu’en vertu de son mouvement de libration par lequel elle nous découvre alternativement un segment de sa surface, ce qui doit produire une espèce de flux et de reflux fort différent de celui de nos mers, et dont les effets doivent être beaucoup moins considérables qu’ils ne le seraient si ce mouvement avait pour cause une révolution de cette planète autour de son axe, aussi prompte que l’est là rotation du globe terrestre.