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révoqués en doute, il n’y aura plus aucune hypothèse à faire sur la direction de la pesanteur ; la terre aura eu nécessairement la figure déterminée par Newton, et toutes les autres figures qu’on voudrait lui donner en vertu des tourbillons ou des autres hypothèses ne pourront subsister.

On ne peut pas douter, à moins qu’on ne doute de tout, que ce ne soit la force de la gravité qui retient les planètes dans leurs orbites : les satellites de Saturne gravitent vers Saturne, ceux de Jupiter vers Jupiter, la lune vers la terre, et Saturne, Jupiter, Mars, la terre, Vénus et Mercure gravitent vers le soleil ; de même, Saturne et Jupiter gravitent vers leurs satellites, la terre gravite vers la lune, et le soleil gravite vers les planètes : la gravité est donc générale et mutuelle dans toutes les planètes ; car l’action d’une force ne peut pas s’exercer sans qu’il y ait réaction ; toutes les planètes agissent donc mutuellement les unes sur les autres : cette attraction mutuelle sert de fondement aux lois de leur mouvement, et elle est démontrée par les phénomènes. Lorsque Saturne et Jupiter sont en conjonction, ils agissent l’un sur l’autre, et cette attraction produit une irrégularité dans leur mouvement autour du soleil ; il en est de même de la terre et de la lune, elles agissent mutuellement l’une sur l’autre, mais les irrégularités du mouvement de la lune viennent de l’attraction du soleil, en sorte que le soleil, la terre et la lune agissent mutuellement les unes sur les autres. Or cette attraction mutuelle, que les planètes exercent les unes sur les autres, est proportionnelle à leur quantité de matière, lorsque les distances sont égales, et la même force de gravité qui fait tomber les graves sur la surface de la terre, et qui s’étend jusqu’à la lune, est aussi proportionnelle à la quantité de matière ; donc la gravité totale d’une planète est composée de la gravité de chacune des parties qui la composent ; donc toutes les parties de la matière, soit dans la terre, soit dans les planètes, gravitent les unes sur les autres ; donc toutes les parties de la matière s’attirent mutuellement : et cela étant une fois prouvé, la terre, par son mouvement de rotation, a dû nécessairement prendre la figure d’un sphéroïde dont les axes sont entre eux comme 229 à 230, et la direction de la pesanteur est nécessairement perpendiculaire à la surface de ce sphéroïde ; par conséquent, il n’y a point d’hypothèse à faire sur la direction de la pesanteur, à moins qu’on ne nie l’attraction mutuelle et générale des parties de la matière : mais on vient de voir que l’attraction mutuelle est démontrée par les observations, et les expériences des pendules prouvent qu’elle est générale dans toutes les parties de la matière ; donc on ne peut pas faire de nouvelles hypothèses sur la direction de la pesanteur, sans aller contre l’expérience et la raison.

Venons maintenant à l’homogénéité du globe terrestre ; j’avoue que, si l’on suppose que le globe soit plus dense dans certaines parties que dans d’autres, la direction de la pesanteur doit être différente de celle que nous venons d’assigner ; qu’elle sera différente suivant les différentes suppositions qu’on fera, et que la figure de la terre deviendra différente aussi en vertu des mêmes suppositions. Mais quelle raison a-t-on pour croire que cela soit ainsi ? Pourquoi veut-on, par exemple, que les parties voisines du centre soient plus denses que celles qui en sont plus éloignées ? toutes les particules qui composent le globe ne se sont-elles pas rassemblées par leur attraction mutuelle ? Dès lors, chaque particule est un centre, et il n’y a pas de raison pour croire que les parties qui sont autour du centre de grandeur du globe soient plus denses que celles qui sont autour d’un autre point ; mais, d’ailleurs, si une partie considérable du globe était plus dense qu’une autre partie, l’axe de rotation se trouverait plus près des parties denses, et il en résulterait une inégalité dans la révolution diurne, en sorte qu’à la surface de la terre nous remarquerions de l’inégalité dans le mouvement apparent des étoiles fixes ; elles nous paraîtraient se mouvoir beaucoup plus vite ou beaucoup plus lentement au zénith qu’à l’horizon, selon que nous serions posés sur les parties denses ou légères du globe ; cet axe de la terre, ne passant plus par le centre de grandeur du globe, changerait aussi très