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qui sont les principaux objets que nous ne devons jamais perdre de vue dans le système solaire ; car, selon ce rapport entre la densité et la chaleur, il se trouve que la densité de Saturne serait environ comme 4 7/18, et celle de Jupiter comme 14 17/22 au lieu de 67 et de 94 1/2, différence trop grande pour que le rapport entre la densité et la chaleur que les planètes ont à supporter puisse être admis ; ainsi, malgré la confiance que méritent les conjectures de Newton, je crois que la densité des planètes a plus de rapport avec leur vitesse qu’avec le degré de chaleur qu’elles ont à supporter. Ceci n’est qu’une cause finale, et l’autre est un rapport physique dont l’exactitude est singulière dans les deux grosses planètes : il est cependant vrai que la densité de la terre, au lieu d’être 206 7/8 se trouve être 400, et que par conséquent il faut que le globe terrestre se soit condensé dans cette raison de 206 7/8 à 400

Mais la condensation ou la coction des planètes n’a-t-elle pas quelque rapport avec quantité de la chaleur du soleil dans chaque planète ? Et dès lors Saturne, qui est fort éloigné de cet astre, n’aura souffert que peu ou point de condensation, Jupiter se sera condensé de 90 11/16 à 94 1/2 : or la chaleur du soleil dans Jupiter étant à celle du soleil sur la terre comme 14 17/22 sont à 400, les condensations ont dû se faire dans la même proportion, de sorte que Jupiter s’étant condensé de 90 11/16 à 94 1/2, la terre aurait dû se condenser en même proportion de 206 7/8 à 215 900/1451 si elle eût été placée dans l’orbite de Jupiter, où elle n’aurait dû recevoir du soleil qu’une chaleur égale à celle que reçoit cette planète ; mais la terre se trouvant beaucoup plus près de cet astre, et recevant une chaleur dont le rapport à celle que reçoit Jupiter est de 400 à 14 17/22, il faut multiplier la quantité de la condensation qu’elle aurait eue dans l’orbe de Jupiter par le rapport de 400 à 14 17/22, ce qui donne à peu près 234 1/2 pour la quantité dont la terre a dû se condenser. Sa densité était 206 7/8 ; en y ajoutant la quantité de condensation, l’on trouve pour sa densité actuelle 440 7/8, ce qui approche assez de la densité 400, déterminée par la parallaxe de la lune : au reste, je ne prétends pas donner ici des rapports exacts, mais seulement des approximations, pour faire voir que les densités des planètes ont beaucoup de rapport avec leur vitesse dans leurs orbites.

La comète, ayant donc par sa chute oblique sillonné la surface du soleil, aura poussé hors du corps de cet astre une partie de matière égale à la 650e partie de sa masse totale ; cette matière qu’on doit considérer dans un état de fluidité, ou plutôt de liquéfaction, aura d’abord formé un torrent ; les parties les plus grosses et les moins denses auront été poussées au plus loin, et les parties les plus petites et les plus denses, n’ayant reçu que la même impulsion, ne se seront pas si fort éloignées ; la force d’attraction du soleil les aura retenues ; toutes les parties détachées par la comète et poussées les unes par les autres auront été contraintes de circuler autour de cet astre, et en même temps l’attraction mutuelle des parties de la matière en aura formé des globes à différentes distances, dont les plus voisins du soleil auront nécessairement conservé plus de rapidité pour tourner ensuite perpétuellement autour de cet astre.

Mais, dira-t-on une seconde fois, si la matière qui compose les planètes a été séparée du corps du soleil, les planètes devraient être, comme le soleil, brûlantes et lumineuses, et non pas froides et opaques comme elles le sont : rien ne ressemble moins à ce globe de feu qu’un globe de terre et d’eau ; et, à en juger par comparaison, la matière de la terre et des planètes est tout à fait différente de celle du soleil.

À cela on peut répondre que, dans la séparation qui s’est faite des particules plus ou moins denses, la matière a changé de forme, et que la lumière ou le feu se sont éteints par cette séparation causée par le mouvement d’impulsion. D’ailleurs, ne peut-on pas soupçonner que, si le soleil ou une étoile brûlante et lumineuse par elle-même se mouvait avec autant de vitesse que se meuvent les planètes, le feu s’éteindrait peut-être, et que c’est par cette raison que toutes les étoiles lumineuses sont fixes et ne changent pas de