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l’inclinaison des orbites n’excède pas 7 degrés et demi ; car, en comparant les espaces, on trouve qu’il y a 24 contre un pour que deux planètes se trouvent dans des plans plus éloignés, et par conséquent 245 ou 7 692 624 à parier contre un, que ce n’est pas par hasard qu’elles se trouvent toutes six ainsi placées et renfermées dans l’espace de 7 degrés et demi, ou, ce qui revient au même, il y a cette probabilité qu’elles ont quelque chose de commun dans le mouvement qui leur a donné cette position. Mais que peut-il y avoir de commun dans l’impression d’un mouvement d’impulsion, si ce n’est la force et la direction des corps qui le communiquent ? On peut donc conclure avec une très grande vraisemblance que les planètes ont reçu leur mouvement d’impulsion par un seul coup. Cette probabilité, qui équivaut presque à une certitude, étant acquise, je cherche quel corps en mouvement a pu faire ce choc et produire cet effet, et je ne vois que les comètes capables de communiquer un aussi grand mouvement à d’aussi vastes corps.

Pour peu qu’on examine le cours des comètes, on se persuadera aisément qu’il est presque nécessaire qu’il en tombe quelquefois dans le soleil. Celle de 1680 en approcha de si près, qu’à son périhélie elle n’en était pas éloignée de la sixième partie du diamètre solaire ; et si elle revient, comme il y a apparence, en l’année 2255, elle pourrait bien tomber cette fois dans le soleil ; cela dépend des rencontres qu’elle aura faites sur sa route, et du retardement qu’elle a souffert en passant dans l’atmosphère du soleil. (Voyez Newton, troisième édit., page 525.)

Nous pouvons donc présumer, avec le philosophe que nous venons de citer, qu’il tombe quelquefois des comètes sur le soleil ; mais cette chute peut se faire de différentes façons : si elles y tombent à plomb, ou même dans une direction qui ne soit pas fort oblique, elles demeureront dans le soleil et serviront d’aliment au feu qui consume cet astre, et le mouvement d’impulsion qu’elles auront perdu et communiqué au soleil ne produira d’autre effet que celui de le déplacer plus ou moins, selon que la masse de la comète sera plus ou moins considérable ; mais si la chute de la comète se fait dans une direction fort oblique, ce qui doit arriver plus souvent de cette façon que de l’autre, alors la comète ne fera que raser la surface du soleil ou la sillonner à une petite profondeur, et dans ce cas elle pourra en sortir et en chasser quelques parties de matière, auxquelles elle communiquera un mouvement commun d’impulsion, et ces parties poussées hors du corps du soleil, et la comète elle-même, pourront devenir alors des planètes qui tourneront autour de cet astre dans le même sens et dans le même plan. On pourrait peut-être calculer quelle masse, quelle vitesse et quelle direction devrait avoir une comète pour faire sortir du soleil une quantité de matière égale à celle que contiennent les six planètes et leurs satellites ; mais cette recherche serait ici hors de sa place, il suffira d’observer que toutes les planètes avec les satellites ne font pas la 650e  partie de la masse du soleil (voyez Newton, page 405), parce que la densité des grosses planètes, Saturne et Jupiter, est moindre que celle du soleil, et que, quoique la terre soit quatre fois, et la lune près de cinq fois plus dense que le soleil, elles ne sont cependant que comme des atomes en comparaison de la masse de cet astre.

J’avoue que, quelque peu considérable que soit une six-cent-cinquantième partie d’un tout, il paraît au premier coup d’œil qu’il faudrait, pour séparer cette partie du corps du soleil, une très puissante comète ; mais si on fait réflexion à la vitesse prodigieuse des comètes dans leur périhélie, vitesse d’autant plus grande que leur route est plus droite, et qu’elles approchent du soleil de plus près ; si d’ailleurs on fait attention à la densité, à la fixité et à la solidité de la matière dont elles doivent être composées, pour souffrir, sans être détruites, la chaleur inconcevable qu’elles éprouvent auprès du soleil, et si on se souvient en même temps qu’elles présentent aux yeux des observateurs un noyau vif et solide, qui réfléchit fortement la lumière du soleil à travers l’atmosphère immense de la comète qui enveloppe et doit obscurcir ce noyau, on ne pourra guère douter que les