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nous les voyons aujourd’hui. On trouvera dans la suite de cet ouvrage des extraits de tant de systèmes et de tant d’hypothèses sur la formation du globe terrestre, sur les différents états par où il a passé et sur les changements qu’il a subis, qu’on ne peut pas trouver mauvais que nous joignions ici nos conjectures à celles des philosophes qui ont écrit sur ces matières, et surtout lorsqu’on verra que nous ne les donnons en effet que pour de simples conjectures, auxquelles nous prétendons seulement assigner un plus grand degré de probabilité qu’à toutes celles qu’on a faites sur le même sujet ; nous nous refusons d’autant moins à publier ce que nous avons pensé sur cette matière, que nous espérons par là mettre le lecteur plus en état de prononcer sur la grande différence qu’il y a entre une hypothèse où il n’entre que des possibilités, et une théorie fondée sur des faits, entre un système tel que nous allons en donner un dans cet article sur la formation et le premier état de la terre, et une histoire physique de son état actuel, telle que nous venons de la donner dans le discours précédent.

Galilée ayant trouvé la loi de la chute des corps, et Képler ayant observé que les aires que les planètes principales décrivent autour du soleil, et celles que les satellites décrivent autour de leur planète principale, sont proportionnelles aux temps, et que les temps des révolutions des planètes et des satellites sont proportionnels aux racines carrées des cubes de leurs distances au soleil ou à leurs planètes principales, Newton trouva que la force qui fait tomber les graves sur la surface de la terre s’étend jusqu’à la lune et la retient dans son orbite ; que cette force diminue en même proportion que le carré de la distance augmente, que par conséquent la lune est attirée par la terre, que la terre et toutes les planètes sont attirées par le soleil, et qu’en général tous les corps qui décrivent autour d’un centre ou d’un foyer des aires proportionnelles aux temps, sont attirés vers ce point. Cette force, que nous connaissons sous le nom de pesanteur, est donc généralement répandue dans toute la matière ; les planètes, les comètes, le soleil, la terre, tout est sujet à ses lois, et elle sert de fondement à l’harmonie de l’univers ; nous n’avons rien de mieux prouvé en physique que l’existence actuelle et individuelle de cette force dans les planètes, dans le soleil, dans la terre et dans toute la matière que nous touchons ou que nous apercevons. Toutes les observations ont confirmé l’effet actuel de cette force, et le calcul en a déterminé la quantité et les rapports ; l’exactitude des géomètres et la vigilance des astronomes atteignent à peine à la précision de cette mécanique céleste et à la régularité de ses effets.

Cette cause générale étant connue, on en déduirait aisément les phénomènes si l’action des forces qui les produisent n’était pas trop combinée ; mais qu’on se représente un moment le système du monde sous ce point de vue, et on sentira quel chaos on a eu à débrouiller. Les planètes principales sont attirées par le soleil, le soleil est attiré par les planètes, les satellites sont aussi attirés par leurs planètes principales, chaque planète est attirée par toutes les autres, et elle les attire aussi : toutes ces actions et réactions varient suivant les masses et les distances ; elles produisent des inégalités, des irrégularités ; comment combiner et évaluer une si grande quantité de rapports ? Paraît-il possible, au milieu de tant d’objets, de suivre un objet particulier ? Cependant on a surmonté ces difficultés, le calcul a confirmé ce que la raison avait soupçonné ; chaque observation est devenue une nouvelle démonstration, et l’ordre systématique de l’univers est à découvert aux yeux de tous ceux qui savent reconnaître la vérité.

Une seule chose arrête, et est en effet indépendante de cette théorie : c’est la force d’impulsion ; l’on voit évidemment que celle d’attraction tirant toujours les planètes vers le soleil, elles tomberaient en ligne perpendiculaire sur cet astre, si elles n’en étaient éloignées par une autre force, qui ne peut être qu’une impulsion en ligne droite, dont l’effet s’exercerait dans la tangente de l’orbite, si la force d’attraction cessait un instant. Cette force d’impulsion a certainement été communiquée aux astres en général par la