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quelques années, et dont le sommet était à peu près de niveau, que l’eau des pluies n’a jamais pénétré à plus de trois ou quatre pieds de profondeur, en sorte qu’en remuant cette terre au printemps, après un hiver fort humide, j’ai trouvé la terre de l’intérieur de ces monceaux aussi sèche que quand on l’avait amoncelée. J’ai fait la même observation sur des terres accumulées depuis près de deux cents ans ; au-dessous de trois ou quatre pieds de profondeur, la terre était aussi sèche que la poussière ; ainsi, l’eau ne se communique ni ne s’étend pas aussi loin qu’on le croit par la seule filtration : cette voie n’en fournit dans l’intérieur de la terre que la plus petite partie ; mais, depuis la surface jusqu’à de grandes profondeurs, l’eau descend par son propre poids : elle pénètre par des conduits naturels ou par de petites routes qu’elle s’est ouvertes elle-même ; elle suit les racines des arbres, les fentes des rochers, les interstices des terres, et se divise et s’étend de tous côtés en une infinité de petits rameaux et de filets, toujours en descendant, jusqu’à ce qu’elle trouve une issue après avoir rencontré la glaise ou un autre terrain solide sur lequel elle s’est rassemblée.

Il serait fort difficile de faire une évaluation un peu juste de la quantité des eaux souterraines qui n’ont point d’issue apparente[1]. Bien des gens ont prétendu qu’elle surpassait de beaucoup celle de toutes les eaux qui sont à la surface de la terre, et, sans parler de ceux qui ont avancé que l’intérieur du globe était absolument rempli d’eau, il y en a qui croient qu’il y a une infinité de fleuves, de ruisseaux, de lacs dans la profondeur de la terre : mais cette opinion, quoique commune, ne me paraît pas fondée, et je crois que la quantité des eaux souterraines qui n’ont point d’issue à la surface du globe n’est pas considérable ; car, s’il y avait un si grand nombre de rivières souterraines, pourquoi ne verrions-nous pas à la surface de la terre les embouchures de quelques-unes de ces rivières, et par conséquent des sources grosses comme des fleuves ? D’ailleurs, les rivières et toutes les eaux courantes produisent des changements très considérables à la surface de la terre ; elles entraînent les terres, creusent les rochers, déplacent tout ce qui s’oppose à leur passage : il en serait de même des fleuves souterrains, ils produiraient des altérations sensibles dans l’intérieur du globe ; mais on n’y a point observé de ces changements produits par le mouvement des eaux, rien n’est déplacé ; les couches parallèles et horizontales subsistent partout, les différentes matières gardent partout leur position primitive, et ce n’est qu’en fort peu d’endroits qu’on a observé quelques veines d’eau souterraines un peu considérables. Ainsi, l’eau ne travaille point en grand dans l’intérieur de la terre ; mais elle y fait bien de l’ouvrage en petit : comme elle est divisée en une infinité de filets, qu’elle est retenue par autant d’obstacles, et enfin qu’elle est dispersée presque partout, elle concourt

  1. Voyez les Preuves, art. x, xi et xviii.