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tous les voyageurs assurent que la navigation est très difficile sur la mer Noire et sur la mer Caspienne, à cause de leur peu de profondeur et de la quantité d’écueils et de bas-fonds qui s’y rencontrent, en sorte qu’elles ne peuvent porter que de petits vaisseaux[1] ; ce qui prouve encore qu’elles ne doivent pas être regardées comme des golfes de l’Océan, mais comme des amas d’eau formés par les grands fleuves dans l’intérieur des terres.

Il arriverait peut-être une irruption considérable de l’Océan dans les terres, si on coupait l’isthme qui sépare l’Afrique de l’Asie, comme les rois d’Égypte, et depuis les califes, en ont eu le projet ; et je ne sais si le canal de communication qu’on a prétendu reconnaître entre ces deux mers est assez bien constaté, car la mer Rouge doit être plus élevée que la mer Méditerranée ; cette mer étroite est un bras de l’Océan qui dans toute son étendue ne reçoit aucun fleuve du côté de l’Égypte, et fort peu de l’autre côté : elle ne sera donc pas sujette à diminuer comme les mers ou les lacs qui reçoivent en même temps les terres et les eaux que les fleuves y amènent, et qui se remplissent peu à peu. L’Océan fournit à la mer Rouge toutes ses eaux, et le mouvement du flux et du reflux y est extrêmement sensible, ainsi elle participe immédiatement aux grands mouvements de l’Océan. Mais la mer Méditerranée est plus basse que l’Océan, puisque les eaux y coulent avec une très grande rapidité par le détroit de Gibraltar : d’ailleurs, elle reçoit le Nil qui coule parallèlement à la côte occidentale de la mer Rouge et qui traverse l’Égypte dans toute sa longueur, dont le terrain est par lui-même extrêmement bas : ainsi il est très vraisemblable que la mer Rouge est plus élevée que la Méditerranée, et que si on ôtait la barrière en coupant l’isthme de Suez il s’ensuivrait une grande inondation et une augmentation considérable de la mer Méditerranée, à moins qu’on ne retînt les eaux par des digues et des écluses de distance en distance, comme il est à présumer qu’on l’a fait autrefois si l’ancien canal de communication a existé.

Mais, sans nous arrêter plus longtemps à des conjectures qui, quoique fondées, pourraient paraître trop hasardées, surtout à ceux qui ne jugent des possibilités que par les événements actuels, nous pouvons donner des exemples récents et des faits certains sur le changement de mer en terre[2] et de terre en mer. À Venise, le fond de la mer Adriatique s’élève tous les jours, et il y a déjà longtemps que les lagunes et la ville feraient partie du continent, si on n’avait pas un très grand soin de nettoyer et vider les canaux : il en est de même de la plupart des ports, des petites baies et des embouchures de toutes les rivières. En Hollande, le fond de la mer s’élève aussi en plusieurs endroits, car le petit golfe de Zuyderzée et le détroit du

  1. Voyez les Voyages de Pietro della Valle, vol. iii, p. 236.
  2. Voyez les Preuves, art. xix.