Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 2.pdf/65

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’inondations encore plus grandes et de déluges : tout cela ne doit-il pas nous porter à croire qu’il est en effet arrivé de grandes révolutions sur la surface de la terre, et que la mer a pu quitter et laisser à découvert la plus grande partie des terres qu’elle occupait autrefois ? Par exemple, si nous nous prêtons un instant à supposer que l’ancien et le nouveau monde ne faisaient autrefois qu’un seul continent, et que, par un violent tremblement de terre, le terrain de l’ancienne Atlantide de Platon se soit affaissé, la mer aura nécessairement coulé de tous côtés pour former l’océan Atlantique, et par conséquent aura laissé à découvert de vastes continents qui sont peut-être ceux que nous habitons[NdÉ 1] ; ce changement a donc pu se faire tout à coup par l’affaissement de quelque vaste caverne dans l’intérieur du globe, et produire par conséquent un déluge universel ; ou bien ce changement ne s’est pas fait tout à coup, et il a fallu peut-être beaucoup de temps, mais enfin il s’est fait, et je crois même qu’il s’est fait naturellement ; car, pour juger de ce qui est arrivé et même de ce qui arrivera, nous n’avons qu’à examiner ce qui arrive. Il est certain, par les observations réitérées de tous les voyageurs[1], que l’Océan a un mouvement constant d’orient en occident ; ce mouvement se fait sentir non seulement entre les tropiques comme celui du vent d’est, mais encore dans toute l’étendue des zones tempérées et froides où l’on a navigué : il suit de cette observation qui est constante, que la mer Pacifique fait un effort continuel contre les côtes de la Tartarie, de la Chine et de l’Inde ; que l’océan Indien fait effort contre la côte orientale de l’Afrique, et que l’océan Atlantique agit de même contre toutes les côtes orientales de l’Amérique : ainsi la mer a dû et doit toujours gagner du terrain sur les côtes orientales, et en perdre sur les côtes occidentales. Cela seul suffirait pour prouver la possibilité de ce changement de terre en mer et de mer en terre ; et si, en effet, il s’est opéré par ce mouvement des eaux d’orient en occident, comme il y a grande apparence, ne peut-on pas conjecturer très vraisemblablement que le pays le plus ancien du monde est l’Asie et tout le continent oriental ? que l’Europe, au contraire, et une partie de l’Afrique, et surtout les côtes occidentales de ces continents, comme l’Angleterre, la France, l’Espagne, la Mauritanie, etc., sont des terres plus nouvelles ? L’histoire paraît s’accorder ici avec la physique, et confirmer cette conjecture qui n’est pas sans fondement.

  1. Voyez Varen., Geogr. gén., p. 119.
  1. Tout ce que vient de dire Buffon au sujet des déplacements de la mer est absolument exact. Il est parfaitement démontré que la mer a occupé jadis des surfaces considérables de nos continents actuels, tandis qu’elle recouvre aujourd’hui des régions qui étaient autrefois à découvert. On sait, par exemple, que tout le territoire parisien a été occupé par une mer, tandis que jadis l’Angleterre et la France, la France et l’Afrique étaient en relation par des terres découvertes ; mais, si Buffon a parfaitement compris le phénomène, il en donne une explication aussi bizarre qu’erronée quand il suppose que ces changements ont « pu se faire tout à coup par l’affaissement de quelque vaste caverne dans l’intérieur du globe. »