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mêmes changements qu’éprouvent actuellement les terres couvertes par la mer. Il paraît que notre terre a été un fond de mer ; pour trouver donc ce qui s’est passé autrefois sur cette terre, voyons ce qui se passe aujourd’hui sur le fond de la mer, et de là nous tirerons des inductions raisonnables sur la forme extérieure et la composition intérieure des terres que nous habitons.

Souvenons-nous donc que la mer à de tout temps, et depuis la création, un mouvement de flux et de reflux causé principalement par la lune ; que ce mouvement, qui dans vingt-quatre heures fait deux fois élever et baisser les eaux, s’exerce avec plus de force sous l’équateur que dans les autres climats. Souvenons-nous aussi que la terre a un mouvement rapide sur son axe, et par conséquent une force centrifuge plus grande à l’équateur que dans toutes les autres parties du globe ; que cela seul, indépendamment des observations actuelles et des mesures, nous prouve qu’elle n’est pas parfaitement sphérique, mais qu’elle est plus élevée sous l’équateur que sous les pôles ; et concluons de ces premières observations que quand même on supposerait que la terre est sortie des mains du Créateur parfaitement ronde en tout sens (supposition gratuite et qui marquerait bien le cercle étroit de nos idées), son mouvement diurne et celui du flux et du reflux auraient élevé peu à peu les parties de l’équateur, en y amenant successivement les limons, les terres, les coquillages, etc. Ainsi les plus grandes inégalités du globe doivent se trouver et se trouvent en effet voisines de l’équateur ; et comme ce mouvement de flux et de reflux[1] se fait par des alternatives journalières et répétées sans interruption, il est fort naturel d’imaginer qu’à chaque fois les eaux emportent d’un endroit à l’autre une petite quantité de matière, laquelle tombe ensuite comme un sédiment au fond de l’eau ; car la totalité du mouvement des eaux dans le flux et reflux étant horizontale, les matières entraînées ont nécessairement suivi la même direction et se sont toutes arrangées parallèlement et de niveau[NdÉ 1].

  1. Voyez les Preuves, art. xii.
  1. La façon dont Buffon explique la formation des couches géologiques est fort remarquable, non par son exactitude, mais parce qu’elle montre que le savant naturaliste avait conçu la possibilité d’expliquer par des phénomènes lents et continus, sans révolutions et sans cataclysmes, toutes les transformations subies par la surface de notre globe. C’est cette manière de voir qui a définitivement triomphé et qui est admise aujourd’hui par tous les géologues. Les théologiens ne manquèrent pas d’en voir le danger ; la Sorbonne la condamna solennellement et somma Buffon d’y renoncer. Le savant qui a le plus fait à notre époque pour faire triompher cette théorie, sir Charles Lyell, écrit à ce propos (dans ses Principes de géologie, t. Ier, p. 74) : « Le grand principe auquel Buffon avait été mis en demeure de renoncer était simplement celui-ci : « que les montagnes et les vallées actuelles sont dues à des causes secondaires, et que les mêmes causes, à un temps donné, détruiront tous les continents, les collines, les vallées, et en reproduiront de semblables. » Or, quelque défectueuse que puissent être certaines idées de Buffon, on admet aujourd’hui sans discussion que les continents actuels sont d’origine secondaire. Cette doctrine est aussi fermement établie