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tière nous étant inconnu, en sorte que l’intérieur de la terre pourrait être vide ou rempli d’une matière mille fois plus pesante que l’or, et nous n’avons aucun moyen de le reconnaître ; à peine pouvons-nous former sur cela quelques conjectures[1] raisonnables.

Il faut donc nous borner à examiner et à décrire la surface de la terre, et la petite épaisseur intérieure dans laquelle nous avons pénétré. La première chose qui se présente, c’est l’immense quantité d’eau qui couvre la plus grande partie du globe ; ces eaux occupent toujours les parties les plus basses, elles sont aussi toujours de niveau, et elles tendent perpétuellement à l’équilibre et au repos : cependant nous les voyons[2] agitées par une forte puissance, qui, s’opposant à la tranquillité de cet élément, lui imprime un mouvement périodique et réglé, soulève et abaisse alternativement les flots, et fait un balancement de la masse totale des mers en les remuant jusqu’à la plus grande profondeur. Nous savons que ce mouvement est de tous les temps, et qu’il durera autant que la lune et le soleil qui en sont les causes.

Considérant ensuite le fond de la mer, nous y remarquons autant d’inégalités[3] que sur la surface de la terre ; nous y trouvons des hauteurs[4], des vallées, des plaines, des profondeurs, des rochers, des terrains de toute espèce ; nous voyons que toutes les îles ne sont que les sommets[5] de vastes montagnes dont le pied et les racines sont couverts de l’élément liquide ; nous y trouvons d’autres sommets de montagnes qui sont presque à fleur d’eau, nous y remarquons des courants[6] rapides qui semblent se soustraire au mouvement général : on les voit[7] se porter quelquefois constamment dans la même direction, quelquefois rétrograder et ne jamais excéder leurs limites, qui paraissent aussi invariables que celles qui bornent les efforts des fleuves de la terre. Là sont ces contrées orageuses où les vents en fureur précipitent la tempête, où la mer et le ciel également agités se choquent et se confondent ; ici sont des mouvements intestins, des bouillonnements[8], des trombes[9], et des agitations extraordinaires causées par des volcans dont la bouche submergée vomit le feu du sein des ondes, et pousse jusqu’aux nues une épaisse vapeur mêlée d’eau, de soufre et de bitume. Plus loin, je vois ces gouffres[10] dont on n’ose approcher, qui semblent attirer les vaisseaux

  1. Voyez les Preuves, art. i.
  2. Voyez les Preuves, art. xii.
  3. Voyez les Preuves, art. xiii.
  4. Voyez la carte dressée en 1737 par M. Buache, des profondeurs de l’Océan entre l’Afrique et l’Amérique.
  5. Voyez Varen. Geogr. gen., p. 218.
  6. Voyez les Preuves, Preuves, art. xiii.
  7. Voyez Varen., p. 140. Voyez aussi les Voyages de Pyrard, p. 137.
  8. Voyez les Voyages de Shaw, tome II, p. 56.
  9. Voyez les Preuves, art. xvi.
  10. Le Malestroom, dans la mer de Norvège.