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Mais lorsqu’après avoir bien constaté les faits par des observations réitérées, lorsqu’après avoir établi de nouvelles vérités par des expériences exactes, nous voulons chercher les raisons de ces mêmes faits, les causes de ces effets, nous nous trouvons arrêtés tout à coup, réduits à tâcher de déduire les effets d’effets plus généraux, et obligés d’avouer que les causes nous sont et nous seront perpétuellement inconnues, parce que nos sens étant eux-mêmes les effets de causes que nous ne connaissons point, ils ne peuvent nous donner des idées que des effets, et jamais des causes ; il faudra donc nous réduire à appeler cause un effet général, et renoncer à savoir au delà.

Ces effets généraux sont pour nous les vraies lois de la nature ; tous les phénomènes que nous reconnaîtrons tenir à ces lois et en dépendre seront autant de faits expliqués, autant de vérités comprises ; ceux que nous ne pourrons y rapporter, seront de simples faits qu’il faut mettre en réserve, en attendant qu’un plus grand nombre d’observations et une plus longue expérience nous apprennent d’autres faits et nous découvrent la cause physique, c’est-à-dire l’effet général dont ces effets particuliers dérivent. C’est ici où l’union des deux sciences mathématique et physique peut donner de grands avantages, l’une donne le combien, et l’autre le comment des choses ; et comme il s’agit ici de combiner et d’estimer des probabilités pour juger si un effet dépend plutôt d’une cause que d’une autre, lorsque vous avez imaginé par la physique le comment, c’est-à-dire lorsque vous avez vu qu’un tel effet pourrait bien dépendre de telle cause, vous appliquez ensuite le calcul pour vous assurer du combien de cet effet combiné avec sa cause, et si vous trouvez que le résultat s’accorde avec les observations, la probabilité que vous avez deviné juste augmente si fort qu’elle devient une certitude ; au lieu que sans ce secours elle serait demeurée simple probabilité.

Il est vrai que cette union des mathématiques et de la physique ne peut se faire que pour un très petit nombre de sujets ; il faut pour cela que les phénomènes que nous cherchons à expliquer, soient susceptibles d’être considérés d’une manière abstraite, et que de leur nature ils soient dénués de presque toutes les qualités physiques, car pour peu qu’ils soient composés, le calcul ne peut plus s’y appliquer. La plus belle et la plus heureuse application qu’on en ait jamais faite, est au système du monde ; et il faut avouer que si Newton ne nous eût donné que les idées physiques de son système, sans les avoir appuyées sur des évaluations précises et mathématiques, elles n’auraient pas eu à beaucoup près la même force ; mais on doit sentir en même temps qu’il y a très peu de sujets aussi simples, c’est-à-dire aussi dénués de qualités physiques que l’est celui-ci ; car la distance des planètes est si grande qu’on peut les considérer les unes à l’égard des autres comme n’étant que des points ; on peut en même temps, sans se tromper, faire abstraction de toutes les qualités physiques des planètes, et ne con-