Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 2.pdf/441

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Eh ! comment, dira-t-on, la nature vivante, que vous supposez établie partout, peut-elle exister sur des planètes de fer, d’émeril ou de pierre ponce ? Par les mêmes causes, répondrai-je, et par les mêmes moyens qu’elle existe sur le globe terrestre, quoique composé de pierre, de grès, de marbre, de fer et de verre. Il en est des autres planètes comme de notre globe, leur fonds principal est une des matières que nous venons d’indiquer, mais les causes extérieures auront bientôt altéré la couche superficielle de cette matière, et selon les différents degrés de chaleur ou de froid, de sécheresse ou d’humidité, elles auront converti en assez peu de temps cette matière, de quelque nature qu’on la suppose, en une terre féconde et propre à recevoir les germes de la nature organisée, qui tous n’ont besoin que de chaleur et d’humidité pour se développer.

Après avoir satisfait aux objections qui paraissent se présenter les premières, il est nécessaire d’exposer les faits et les observations par lesquelles on s’est assuré que la chaleur du soleil n’est qu’un accessoire, un petit complément à la chaleur réelle qui émane continuellement du globe de la terre ; et il sera bon de faire voir en même temps comment les thermomètres comparables nous ont appris d’une manière certaine que le chaud de l’été est égal dans tous les climats de la terre, à l’exception de quelques endroits, comme le Sénégal, et de quelques autres parties de l’Afrique, où la chaleur est plus grande qu’ailleurs, par des raisons particulières dont nous parlerons lorsqu’il s’agira d’examiner les exceptions à cette règle générale.

On peut démontrer, par des évaluations incontestables, que la lumière, et par conséquent la chaleur envoyée du soleil à la terre en été est très grande en comparaison de la chaleur envoyée par ce même astre en hiver, et que néanmoins, par des observations très exactes et très réitérées, la différence de la chaleur réelle de l’été à celle de l’hiver est fort petite. Cela seul serait suffisant pour prouver qu’il existe dans le globe terrestre une très grande chaleur, dont celle du soleil ne fait que le complément ; car en recevant les rayons du soleil sur le même thermomètre en été et en hiver, M. Amontons a le premier observé que les plus grandes chaleurs de l’été dans notre climat ne diffèrent du froid de l’hiver, lorsque l’eau se congèle, que comme 7 diffère de 6, tandis qu’on peut démontrer que l’action du soleil en été est environ 66 fois plus grande que celle du soleil en hiver : on ne peut donc pas douter qu’il n’y ait un fonds de très grande chaleur dans le globe terrestre, sur lequel, comme base, s’élèvent les degrés de la chaleur qui nous vient du soleil, et que les émanations de ce fonds de chaleur à la surface du globe ne nous donnent une quantité de chaleur beaucoup plus grande que celle qui nous arrive du soleil.

Si l’on demande comment on a pu s’assurer que la chaleur envoyée par le soleil en été est 66 fois plus grande que la chaleur envoyée par ce même astre en hiver dans notre climat, je ne puis mieux répondre qu’en renvoyant aux Mémoires donnés par feu M. de Mairan en 1719, 1722 et 1765, et insérés dans ceux de l’Académie, où il examine avec une attention scrupuleuse les causes de la vicissitude des saisons dans les différents climats. Ces causes peuvent se réduire à quatre principales, savoir : 1o l’inclinaison sous laquelle tombe la lumière du soleil suivant les différentes hauteurs de cet astre sur l’horizon ; 2o l’intensité de la lumière, plus ou moins grande, à mesure que son passage dans l’atmosphère est plus ou moins oblique ; 3o la différente distance de la terre au soleil en été et en hiver ; 4o l’inégalité de la longueur des jours dans les climats différents. Et en partant du principe que la quantité de la chaleur est proportionnelle à l’action de la lumière, on se démontrera aisément à soi-même que ces quatre causes réunies, combinées et comparées, diminuent pour notre climat cette action de la chaleur du soleil dans un rapport d’environ 66 à 1 du solstice d’été au solstice d’hiver. Et en supposant l’affaiblissement de l’action de la lumière par ces quatre causes, c’est-à-dire : 1o par la moindre ascension ou élévation du soleil à midi du solstice d’hiver, en comparaison de son ascension à midi du solstice d’été ; 2o par la diminution de l’intensité de la lumière qui traverse plus oblique-