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Toutes les planètes, sans même en excepter Mercure, seraient donc et auraient toujours été des volumes aussi grands qu’inutiles, d’une matière plus que brute, profondément gelée, et par conséquent des lieux inhabités de tous les temps, inhabitables à jamais si elles ne renfermaient pas au dedans d’elles-mêmes des trésors d’un feu bien supérieur à celui qu’elles reçoivent du soleil. Cette quantité de chaleur que notre globe possède en propre, et qui est 50 fois plus grande que la chaleur qui lui vient du soleil, est en effet le trésor de la nature, le vrai fonds du feu qui nous anime, ainsi que tous les êtres ; c’est cette chaleur intérieure de la terre qui fait tout germer, tout éclore ; c’est elle qui constitue l’élément du feu proprement dit, élément qui seul donne le mouvement aux autres éléments, et qui, s’il était réduit à 1/50, ne pourrait vaincre leur résistance, et tomberait lui-même dans l’inertie ; or cet élément, le seul actif, le seul qui puisse rendre l’air fluide, l’eau liquide, et la terre pénétrable, n’aurait-il été donné qu’au seul globe terrestre ? L’analogie nous permet-elle de douter que les autres planètes ne contiennent de même une quantité de chaleur qui leur appartient en propre, et qui doit les rendre capables de recevoir et de maintenir la nature vivante ? N’est-il pas plus grand, plus digne de l’idée que nous devons avoir du Créateur, de penser que partout il existe des êtres qui peuvent le connaître et célébrer sa gloire, que de dépeupler l’univers, à l’exception de la terre, et de le dépouiller de tous êtres sensibles, en le réduisant à une profonde solitude, où l’on ne trouverait que le désert de l’espace et les épouvantables masses d’une matière entièrement inanimée ?

Il est donc nécessaire, puisque la chaleur du soleil est si petite sur la terre et sur les autres planètes, que toutes possèdent une chaleur qui leur appartient en propre, et nous devons rechercher d’où provient cette chaleur qui seule peut constituer l’élément du feu dans chacune des planètes. Or, où pourrons-nous puiser cette grande quantité de chaleur, si ce n’est dans la source même de toute chaleur, dans le soleil seul, de la matière duquel les planètes ayant été formées et projetées par une seule et même impulsion, auront toutes conservé leur mouvement dans le même sens, et leur chaleur à proportion de leur grosseur et de leur densité. Quiconque pèsera la valeur de ces analogies et sentira la force de leurs rapports, ne pourra guère douter que les planètes ne soient issues et sorties du soleil, par le choc d’une comète, parce qu’il n’y a dans le système solaire que les comètes qui soient des corps assez puissants et en assez grand mouvement, pour pouvoir communiquer une pareille impulsion aux masses de matière qui composent les planètes. Si l’on réunit à tous les faits sur lesquels j’ai fondé cette hypothèse[1], le nouveau fait de la chaleur propre de la terre et de l’insuffisance de celle du soleil pour maintenir la nature, on demeurera persuadé, comme je le suis, que, dans le temps de leur formation, les planètes et la terre étaient dans un état de liquéfaction, ensuite dans un état d’incandescence, et enfin dans un état successif de chaleur, toujours décroissante depuis l’incandescence jusqu’à la température actuelle.

Car y a-t-il moyen de concevoir autrement l’origine et la durée de cette chaleur propre de la terre ? Comment imaginer que le feu, qu’on appelle central, pût subsister en effet au fond du globe sans air, c’est-à-dire sans son premier aliment, et d’où viendrait ce feu qu’on suppose renfermé dans le centre du globe, quelle source, quelle origine pourra-t-on lui trouver ?

Descartes avait déjà pensé que la terre et les planètes n’étaient que de petits soleils encroûtés, c’est-à-dire éteints. Leibniz n’a pas hésité à prononcer que le globe terrestre devait sa forme et la consistance de ses matières à l’élément du feu ; et néanmoins ces deux grands philosophes n’avaient pas, à beaucoup près, autant de faits, autant d’observations qu’on en a rassemblé et acquis de nos jours : ces faits sont actuellement en si

  1. Voyez ci-dessus l’article qui a pour titre : De la formation des Planètes.