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venir cet état constant d’incandescence, cette production toujours renouvelée d’un feu dont la consommation ne parait entretenue par aucun aliment, et dont la déperdition est nulle ou du moins insensible, quoique constante depuis un si grand nombre de siècles ? Y a-t-il, peut-il même y avoir une autre cause de la production et du maintien de ce feu permanent, sinon le mouvement rapide de la forte pression de tous les corps qui circulent autour de ce foyer commun, qui réchauffent et l’embrasent, comme une roue rapidement tournée embrase son essieu ? La pression qu’ils exercent en vertu de leur pesanteur équivaut au frottement, et même est plus puissante, parce que cette pression est une force pénétrante, qui frotte non seulement la surface extérieure, mais toutes les parties intérieures de la masse : la rapidité de leur mouvement est si grande que le frottement acquiert une force presque infinie, et met nécessairement toute la masse de l’essieu dans un état d’incandescence, de lumière, de chaleur et de feu, qui dès lors n’a pas besoin d’aliment pour être entretenu, et qui, malgré la déperdition qui s’en fait chaque jour par l’émission de la lumière, peut durer des siècles de siècles sans atténuation sensible, les autres soleils rendant au nôtre autant de lumière qu’il leur en envoie, et le plus petit atome de feu ou d’une matière quelconque ne pouvant se perdre nulle part dans un système où tout s’attire.

Si de cette esquisse du grand tableau des cieux, que je n’ai tâché de tracer que pour me représenter la proportion des espaces et celle du mouvement des corps qui les parcourent ; si de ce point de vue auquel je ne me suis élevé que pour voir plus clairement combien la nature doit être multipliée dans les différentes régions de l’univers, nous descendons à cette portion de l’espace qui nous est mieux connue, et dans laquelle le soleil exerce sa puissance, nous reconnaîtrons que, quoiqu’il régisse par sa force tous les corps qui s’y trouvent, il n’a pas néanmoins la puissance de les vivifier ni même celle d’y entretenir la végétation et la vie.

Mercure, qui de tous les corps circulants autour du soleil en est le plus voisin, n’en reçoit néanmoins qu’une chaleur 50/8 fois plus grande que celle que la terre en reçoit, et cette chaleur 50/8 fois plus grande que la chaleur envoyée du soleil à la terre, bien loin d’être brûlante comme on l’a toujours cru, ne serait pas assez grande pour maintenir la pleine vigueur de la nature vivante, car la chaleur actuelle du soleil sur la terre n’étant que 1/50 fois de celle de la chaleur propre du globe terrestre, celle du soleil sur Mercure est par conséquent 50/400 ou 1/8 de la chaleur actuelle de la terre. Or si l’on diminuait des trois quarts et demi la chaleur qui fait aujourd’hui la température de la terre, il est sûr que la nature vivante serait au moins bien engourdie, supposé qu’elle ne fût pas éteinte. Et puisque le feu du soleil ne peut pas seul maintenir la nature organisée dans la planète la plus voisine, combien a plus forte raison ne s’en faut-il pas qu’il puisse vivifier celles qui en sont plus éloignées ? Il n’envoie à Vénus qu’une chaleur 50/2 1/50 fois plus grande que celle qu’il envoie à la terre, et cette chaleur 50/2 1/50 fois plus grande que celle du soleil sur la terre, bien loin d’être assez forte pour maintenir la nature vivante, ne suffirait certainement pas pour entretenir la liquidité des eaux, ni peut-être même la fluidité de l’air, puisque notre température actuelle se trouverait refroidie à 2/49 ou à 1/24 1/2, ce qui est tout près du terme 1/25 que nous avons donné comme la limite extrême de la plus petite chaleur, relativement à la nature vivante. Et à l’égard de Mars, de Jupiter, de Saturne et de tous leurs satellites, la quantité de chaleur que le soleil leur envoie est si petite en comparaison de celle qui est nécessaire au maintien de la nature, qu’on pourrait la regarder comme de nul effet, surtout dans les deux plus grosses planètes, qui néanmoins paraissent être les objets essentiels du système solaire.