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gnaient apparemment d’écrire des choses qu’ils regardaient comme inutiles, et cette façon de penser tenait à quelque chose de général et n’était pas aussi déraisonnable qu’on pourrait le croire, et même ils ne pouvaient guère penser autrement. Premièrement ils cherchaient à être courts et à ne mettre dans leurs ouvrages que les faits essentiels et utiles, parce qu’ils n’avaient pas, comme nous, la facilité de multiplier les livres et de les grossir impunément. En second lieu ils tournaient toutes les sciences du côté de l’utilité, et donnaient beaucoup moins que nous à la vaine curiosité ; tout ce qui n’était pas intéressant pour la société, pour la santé, pour les arts, était négligé : ils rapportaient tout à l’homme moral, et ils ne croyaient pas que les choses qui n’avaient point d’usage fussent dignes de l’occuper ; un insecte inutile dont nos observateurs admirent les manœuvres, une herbe sans vertu dont nos botanistes observent les étamines, n’étaient pour eux qu’un insecte ou une herbe : on peut citer pour exemple le vingt-septième livre de Pline, Reliqua herbarum genera, où il met ensemble toutes les herbes dont il ne fait pas grand cas, qu’il se contente de nommer par lettres alphabétiques, en indiquant seulement quelqu’un de leurs caractères généraux et de leurs usages pour la médecine. Tout cela venait du peu de goût que les anciens avaient pour la physique, ou, pour parler plus exactement, comme ils n’avaient aucune idée de ce que nous appelons physique particulière et expérimentale, ils ne pensaient pas que l’on pût tirer aucun avantage de l’examen scrupuleux et de la description exacte de toutes les parties d’une plante ou d’un petit animal, et ils ne voyaient pas les rapports que cela pouvait avoir avec l’explication des phénomènes de la nature.

Cependant cet objet est le plus important, et il ne faut pas s’imaginer, même aujourd’hui, que dans l’étude de l’histoire naturelle on doive se borner uniquement à faire des descriptions exactes et à s’assurer seulement des faits particuliers ; c’est à la vérité, et comme nous l’avons dit, le but essentiel qu’on doit se proposer d’abord, mais il faut tâcher de s’élever à quelque chose de plus grand et plus digne encore de nous occuper, c’est de combiner les observations, de généraliser les faits, de les lier ensemble par la force des analogies, et de tâcher d’arriver à ce haut degré de connaissances où nous pouvons juger que les effets particuliers dépendent d’effets plus généraux, où nous pouvons comparer la nature avec elle-même dans ses grandes opérations, et d’où nous pouvons enfin nous ouvrir des routes pour perfectionner les différentes parties de la physique. Une grande mémoire, de l’assiduité et de l’attention suffisent pour arriver au premier but ; mais il faut ici quelque chose de plus, il faut des vues générales, un coup d’œil ferme et un raisonnement formé plus encore par la réflexion que par l’étude ; il faut enfin cette qualité d’esprit qui nous fait saisir les rapports éloignés, les rassembler et en former un corps d’idées raisonnées, après en avoir apprécié au juste les vraisemblances et en avoir pesé les probabilités.