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ADDITIONS

À L’ARTICLE QUI A POUR TITRE : DES CHANGEMENTS DE MER EN TERRE.



Au sujet des changements de mer en terre, on verra, en parcourant les côtes de France, qu’une partie de la Bretagne, de la Picardie, de la Flandre et de la basse Normandie, ont été abandonnées par la mer assez récemment, puisqu’on y trouve des amas d’huîtres et d’autres coquilles fossiles dans le même état qu’on les tire aujourd’hui de la mer voisine. Il est très certain que la mer perd sur les côtes de Dunkerque : on en a l’expérience depuis un siècle. Lorsqu’on construisit les jetées de ce port en 1670, le fort de Bonne-Espérance, qui terminait une de ces jetées, fut bâti sur pilotis, bien au delà de la laisse de la basse mer ; actuellement la plage s’est avancée au delà de ce fort de près de 300 toises. En 1714, lorsqu’on creusa le nouveau port de Mardik, on avait également porté les jetées jusqu’au delà de la laisse de la basse mer ; présentement, il se trouve au delà une plage de plus de 500 toises à sec à marée basse. Si la mer continue à perdre, insensiblement Dunkerque, comme Aiguemortes, ne sera plus un port de mer ; et cela pourra arriver dans quelques siècles. La mer ayant perdu si considérablement de notre connaissance, combien n’a-t-elle pas dû perdre depuis que le monde existe[1] ?

Il suffit de jeter les yeux sur la Saintonge maritime, pour être persuadé qu’elle a été ensevelie sous les eaux. L’océan qui la couvrait ayant abandonné ces terres, la Charente le suivit à mesure qu’il faisait retraite et forma dès lors une rivière dans les lieux même où elle n’était auparavant qu’un grand lac ou un marais. Le pays d’Aunis a été autrefois submergé par la mer et par les eaux stagnantes des marais ; c’est une des terres les plus nouvelles de la France ; il y a lieu de croire que ce terrain n’était encore qu’un marais, vers la fin du xive siècle[2].

Il paraît donc que l’Océan a baissé de plusieurs pieds depuis quelques siècles sur toutes nos côtes, et si l’on examine celles de la Méditerranée depuis le Roussillon jusqu’en Provence, on reconnaîtra que cette mer a fait aussi retraite à peu près dans la même proportion ; ce qui semble prouver que toutes les côtes d’Espagne et de Portugal se sont, comme celles de France, étendues en circonférence. On a fait la même remarque en Suède, où quelques physiciens ont prétendu, d’après leurs observations, que, dans quatre mille ans, à dater de ce jour, la Baltique, dont la profondeur n’est guère que de trente brasses, sera une terre découverte et abandonnée par les eaux.

Si l’on faisait de semblables observations dans tous les pays du monde, je suis persuadé qu’on trouverait généralement que la mer se retire de toutes parts. Les mêmes causes, qui ont produit sa première retraite et son abaissement successif, ne sont pas absolument anéanties ; la mer était dans le commencement élevée de plus de deux mille toises au-dessus de son niveau actuel ; les grandes boursouflures de la surface du globe qui se sont écroulées les premières, ont fait baisser les eaux, d’abord rapidement ; ensuite, à mesure que d’autres cavernes moins considérables se sont affaissées, la mer se sera proportionnellement déprimée, et, comme il existe encore un assez grand nombre de cavités qui ne sont pas écroulées, et que de temps en temps cet effet doit arriver, soit par l’action des volcans, soit par la seule force de l’eau, soit par l’effort des tremblements de terre, il me semble qu’on peut prédire, sans craindre de se tromper, que les mers se retireront de plus en plus avec le temps, en s’abaissant encore au-dessous de leur niveau actuel, et que par conséquent l’étendue des continents terrestres ne fera qu’augmenter avec les siècles.


  1. Mémoire pour la subdélégation de Dunkerque, relativement à l’histoire naturelle de ce canton.
  2. Extrait de l’Histoire de la Rochelle, art. 2 et 3.