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très raisonnablement croire que ces prétendues têtes humaines n’en sont réellement point… ; il y a même tout lieu de penser que les os qu’on croit appartenir à l’homme sont ceux des squelettes de poissons dont on a trouvé les dents, et dont quelques-unes étaient enclavées dans les mêmes quartiers de pierre qui renfermaient les os qu’on dit être humains.

» Il paraît que les amas d’os des environs d’Aix sont semblables à ceux que M. Borda a fait connaître depuis quelques années, et qu’il a trouvés près de Dax, en Gascogne. Les dents qu’on a découvertes à Aix paraissent, par la description qu’on en donne, être semblables à celles qui ont été trouvées à Dax, et dont une mâchoire inférieure était encore garnie : on ne peut douter que cette mâchoire ne soit celle d’un gros poisson… Je pense donc que les os de la carrière d’Aix sont semblables à ceux qui ont été découverts à Dax…, et que ces ossements, quels qu’ils soient, doivent être rapportés à des squelettes de poissons plutôt qu’à des squelettes humains.

» Une des têtes en question avait environ sept pouces et demi de longueur, sur trois de largeur et quelques lignes de plus ; sa forme est celle d’un globe allongé, aplati à sa base, plus gros à l’extrémité postérieure qu’à l’extrémité antérieure, divisé suivant sa largeur, et de haut en bas, par sept ou huit bandes larges, depuis sept jusqu’à douze lignes : chaque bande est elle-même divisée en deux parties égales par un léger sillon ; elles s’étendent depuis la base jusqu’au sommet dans cet endroit, celles d’un côté sont séparées de celles du côté opposé, par un autre sillon plus profond, et qui s’élargit insensiblement depuis la partie antérieure jusqu’à la partie postérieure.

» À cette description, on ne peut reconnaître le noyau d’une tête humaine ; les os de la tête de l’homme ne sont pas divisés en bandes, comme l’est le corps dont il s’agit : une tête humaine est composée de quatre os principaux, dont on ne retrouve pas la forme dans le noyau dont on a donné la description ; elle n’a pas intérieurement une crête qui s’étende longitudinalement depuis sa partie antérieure jusqu’à sa partie postérieure, qui la divise en deux parties égales, et qui ait pu former le sillon sur la partie supérieure du noyau pierreux.

» Ces considérations me font penser que ce corps est plutôt celui d’une nautile que celui d’une tête humaine. En effet, il y a des nautiles qui sont séparés en bandes ou boucliers, comme ce noyau : ils ont un canal ou siphon qui règne dans la longueur de leur courbure, qui les sépare en deux et qui en aura formé le sillon pierreux, etc.[1] »

Je suis très persuadé, ainsi que M. le baron de Longjumeau, que ces prétendues têtes n’ont jamais appartenu à des hommes, mais à des animaux du genre des phoques, des loutres marines et des grands lions marins et ours marins. Ce n’est pas seulement à Aix ou à Dax que l’on trouve sur les rochers et dans les cavernes des têtes et des ossements de ces animaux : S. A. le prince Margrave d’Anspach, actuellement régnant, et qui joint au goût des belles connaissances la plus grande affabilité, a eu la bonté de me donner, pour le Cabinet du Roi, une collection d’ossements tirés des cavernes de Gaillenrente, dans son margraviat de Bareith. M. Daubenton a comparé ces os avec ceux de l’ours commun : ils en diffèrent en ce qu’ils sont beaucoup plus grands ; la tête et les dents sont plus longues et plus grosses, et le museau plus allongé et plus renflé que dans nos plus grands ours. Il y a aussi dans cette collection, dont ce noble prince a bien voulu me gratifier, une petite tête que ses naturalistes avaient désignée sous le nom de tête du petit phoca de M. de Buffon ; mais comme l’on ne connaît pas assez la forme et la structure des têtes de lions marins, d’ours marins et de tous les grands et petits phoques, nous croyons devoir encore suspendre notre jugement sur les animaux auxquels ces ossements fossiles ont appartenu.


  1. Mémoires de l’Académie des sciences, année 1760, p. 209 jusqu’à 218.