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bœuf ou de cheval, mais la plupart trop grandes ou trop grosses pour en être, sans compter la différence de figure : il y a des os de cuisses ou de jambes et même un fragment de bois de cerf ou d’élan ; le tout était enveloppé de terre commune et enfermé entre deux lits de roche. Il faut nécessairement concevoir que des cadavres d’animaux ayant été jetés dans une roche creuse, et leurs chairs s’étant pourries, il s’est formé par-dessus cet amas une roche de 11 pieds de haut, ce qui a demandé une longue suite de siècles…

» MM. de l’Académie de Bordeaux, qui ont examiné toute cette matière en habiles physiciens…, ont trouvé qu’un grand nombre de fragments mis à un feu très vif sont devenus d’un beau bleu de turquoise ; que quelques petites parties en ont pris la consistance, et que, taillées par un lapidaire, elles en ont le poli… Il ne faut pas oublier que des os qui appartenaient visiblement à différents animaux ont également bien réussi à devenir turquoises[1].

» Le 28 janvier 1760, on trouva auprès de la ville d’Aix, en Provence, dit M. Guettard, à 160 toises au-dessus des bains des eaux minérales, des ossements renfermés dans un rocher de pierre grise à sa superficie ; cette pierre ne formait point de lits et n’était point feuilletée, c’était une masse continue et entière…

» Après avoir, par le moyen de la poudre, pénétré à 5 pieds de profondeur dans l’intérieur de cette pierre, on y trouva une grande quantité d’ossements humains de toutes les parties du corps, savoir, des mâchoires et leurs dents, des os du bras, de la cuisse, des jambes, des côtes, des rotules, et plusieurs autres mêlés confusément et dans le plus grand désordre. Les crânes entiers ou divisés en petites parties semblent y dominer.

» Outre ces ossements humains, on en a rencontré plusieurs autres par morceaux qu’on ne peut attribuer à l’homme ; ils sont dans certains endroits ramassés par pelotons ; ils sont épars dans d’autres…

» Lorsqu’on a creusé jusqu’à la profondeur de quatre pieds et demi, on a rencontré six têtes humaines dans une situation inclinée. De cinq de ces têtes, on a conservé l’occiput avec ses adhérences, à l’exception des os de la face : cet occiput était en partie incrusté dans la pierre, son intérieur en était rempli, et cette pierre en avait pris la forme. La sixième tête est dans son entier du côté de la face, qui n’a reçu aucune altération ; elle est large à proportion de sa longueur : on y distingue la forme des joues charnues ; les yeux sont fermés, assez longs, mais étroits ; le front est un peu large, le nez fort aplati, mais bien formé ; la ligne du milieu un peu marquée, la bouche bien faite et fermée, ayant la lèvre supérieure un peu forte, relativement à l’inférieure ; le menton est bien proportionné, et les muscles du total sont très articulés ; la couleur de cette tête est rougeâtre et ressemble assez bien aux têtes de tritons, imaginées par les peintres ; sa substance est semblable à celle de la pierre où elle a été trouvée ; elle n’est, à proprement parler, que le masque de la tête naturelle… »

La relation ci-dessus a été envoyée par M. le baron de Gaillard-Longjumeau à Mme de Boisjourdain, qui l’a fait ensuite parvenir à M. Guettard, avec quelques morceaux des ossements en question. On peut douter avec raison que ces prétendues têtes humaines soient réellement des têtes d’hommes. « Car tout ce qu’on voit dans cette carrière, dit M. de Longjumeau, annonce qu’elle s’est formée de débris de corps qui ont été brisés, et qui ont dû être ballottés et roulés dans les flots de la mer, dans le temps que ces os se sont amoncelés ; ces amas ne se faisant qu’à la longue, et n’étant surtout recouverts de matière pierreuse que successivement, on ne conçoit pas aisément comment il pourrait s’être formé un masque sur la face de ces têtes, les chairs n’étant pas longtemps à se corrompre, lors surtout que les corps sont ensevelis sous les eaux : on peut donc

  1. Histoire de l’Académie des sciences, année 1719, p. 24.