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oubliés ; car on n’imagine pas d’abord que les serpents soient des amphibies, les crustacés des insectes, et les coquillages des vers ; au lieu de ne faire que six classes, si cet auteur en eût fait douze ou davantage, et qu’il eût dit les quadrupèdes, les oiseaux, les reptiles, les amphibies, les poissons cétacés, les poissons ovipares, les poissons mous, les crustacés, les coquillages, les insectes de mer, les insectes d’eau douce, etc., il eût parlé plus clairement, et ses divisions eussent été plus vraies et moins arbitraires ; car en général plus on augmentera le nombre des divisions des productions naturelles, plus on approchera du vrai, puisqu’il n’existe réellement dans la nature que des individus, et que les genres, les ordres et les classes n’existent que dans notre imagination[NdÉ 1].

Si l’on examine les caractères généraux qu’il emploie, et la manière dont il fait ses divisions particulières, on y trouvera encore des défauts bien plus essentiels ; par exemple, un caractère général comme celui pris des mamelles pour la division des quadrupèdes, devrait au moins appartenir à tous les quadrupèdes, cependant depuis Aristote on sait que le cheval n’a point de mamelles.

Il divise la classe des quadrupèdes en cinq ordres : le premier anthropomorpha, le second feræ, le troisième glires, le quatrième jumenta, et le cinquième pecora ; et ces cinq ordres renferment, selon lui, tous les animaux quadrupèdes. On va voir, par l’exposition et l’énumération même de ces cinq ordres, que cette division est non seulement arbitraire, mais encore très mal imaginée ; car cet auteur met dans le premier ordre l’homme, le singe, le paresseux et le lézard écailleux. Il faut bien avoir la manie de faire des classes pour mettre ensemble des êtres aussi différents que l’homme et le paresseux, ou le singe et le lézard écailleux. Passons au second ordre qu’il appelle feræ, les bêtes féroces ; il commence en effet par le lion, le tigre, mais il continue par le chat, la belette, la loutre, le veau-marin, le chien, l’ours, le blaireau, et il finit par le hérisson, la taupe et la chauve-souris. Aurait-on jamais cru que le nom de feræ en latin, bêtes sauvages ou féroces en français, eût pu être donné à la chauve-souris, à la taupe, au hérisson ; que les animaux domestiques comme le chien et le chat, fussent des bêtes sauvages ? et n’y a-t-il pas à cela une aussi grande équivoque de bons sens que de mots ? Mais voyons le troisième ordre, glires, les loirs ; ces loirs de M. Linnæus sont le porc-épic, le lièvre, l’écureuil, le castor et les rats ; j’avoue que dans tout cela je ne vois qu’une espèce de rats qui soit en effet un loir. Le quatrième ordre est celui des jumenta, ou bêtes de somme, ces bêtes de somme sont l’éléphant, l’hippopotame, la musaraigne, le cheval et

  1. Il est absolument exact « qu’il n’existe réellement dans la nature que des individus, et que les genres, les ordres et les classes n’existent que dans notre imagination. » C’est cette vérité, aujourd’hui bien démontrée, qui peut être considérée comme la base inébranlable de la doctrine du transformisme.