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contraire, si la dilatation du faisceau environné est plus forte que là résistance de la matière environnante, il prend sept, huit ou neuf faces, toujours sur sa longueur, ou plutôt sur sa hauteur perpendiculaire.

Les articulations transversales de ces colonnes prismatiques sont produites par une cause encore plus simple : les faisceaux de lave ne tombent pas comme une gouttière régulière et continue, ni par masses égales ; pour peu donc qu’il y ait d’intervalle dans la chute de la matière, la colonne, à demi consolidée à sa surface supérieure, s’affaisse en creux par le poids de là masse qui survient, et qui dès lors se moule en convexe dans la concavité de la première ; et c’est ce qui forme les espèces d’articulations qui se trouvent dans la plupart de ces colonnes prismatiques ; mais, lorsque la lave tombe dans l’eau par une chute égale et continue, alors la colonne de basalte est aussi continue dans toute sa hauteur, et l’on n’y voit point d’articulations. De même, lorsque, par une explosion, il s’élance du torrent de lave quelques masses isolées, ces masses prennent alors une figure globuleuse ou elliptique, ou même tortillée en forme de câbles ; et l’on peut rappeler à cette explication simple toutes les formes sous lesquelles se présentent les basaltes et les laves figurées.

C’est à la rencontre du torrent de lave avec les flots et à sa prompte consolidation, qu’on doit attribuer l’origine de ces côtes hardies qu’on voit dans toutes les mers qui sont au pied des volcans. Les anciens remparts de basalte, qu’on trouve aussi dans l’intérieur des continents, démontrent la présence de la mer et son voisinage des volcans dans le temps que leurs laves ont coulé. Nouvelle preuve qu’on peut ajouter à toutes celles que nous avons données de l’ancien séjour des eaux sur toutes les terres actuellement habitées.

Les torrents de lave ont depuis cent jusqu’à deux et trois mille toises de largeur, et quelquefois cent cinquante et même deux cents pieds d’épaisseur ; et comme nous avons trouvé, par nos expériences, que le temps du refroidissement du verre est à celui du refroidissement du fer comme 132 sont à 236, et que les temps respectifs de leur consolidation sont à peu près dans ce même rapport, il est aisé d’en conclure que, pour consolider une épaisseur de dix pieds de verre ou de lave, il faut 201 21/59 minutes, puisqu’il faut 360 minutes pour la consolidation de dix pieds d’épaisseur de fer ; par conséquent, il faut 4 028 minutes ou 67 heures 8 minutes pour la consolidation de deux cents pieds d’épaisseur de lave ; et, par la même règle, on trouvera qu’il faut environ onze fois plus de temps, c’est-à-dire 30 jours 17/24, ou un mois, pour que la surface de cette lave de deux cents pieds d’épaisseur soit assez froide pour qu’on puisse la toucher ; d’où il résulte qu’il faut un an pour refroidir une lave de deux cents pieds d’épaisseur assez pour qu’on puisse la toucher sans se brûler à un pied de profondeur, et qu’à dix pieds de profondeur elle sera encore assez chaude au bout de dix ans pour qu’on ne puisse la toucher, et cent ans pour être refroidie au même point jusqu’au milieu de son épaisseur. M. Brydone rapporte qu’après plus de quatre ans, la lave qui avait coulé en 1766, au pied de l’Etna, n’était pas encore refroidie ; il dit aussi « avoir vu une couche de lave de quelques pieds, produite par l’éruption du Vésuve, qui resta rouge de chaleur au centre, longtemps après que la surface fut refroidie, et qu’en plongeant un bâton dans ses crevasses, il prenait feu à l’instant, quoiqu’il n’y eût au dehors aucune apparence de chaleur. » Massa, auteur sicilien, digne de foi, dit « qu’étant à Catane, huit ans après la grande éruption de 1669, il trouva qu’en plusieurs endroits la lave n’était pas encore froide »[1].

M. le chevalier Hamilton laissa tomber des morceaux de bois sec dans une fente de lave du Vésuve, vers la fin d’avril 1771 ; ils furent enflammés dans l’instant, quoique cette lave fût sortie du volcan le 19 octobre 1767 : elle n’avait point de communication avec le foyer du volcan, et l’endroit où il fit cette expérience était éloigné au moins de

  1. Voyage en Sicile, t. Ier, p. 213.