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qu’on appelle gueuses, qui coulent dans un moule ou canal dont la pente est presque horizontale, on s’apercevra aisément qu’elles tendent à se courber en effet d’autant plus qu’elles ont plus d’épaisseur[1]. Nous avons démontré par les expériences rapportées dans les mémoires sur la durée de l’incandescence, que les temps de la consolidation sont à très peu près proportionnels aux épaisseurs, et que la surface de ces lingots étant déjà consolidée, l’intérieur en est encore liquide : c’est cette chaleur intérieure qui soulève et fait tomber le lingot ; et, si son épaisseur était plus grande, il y aurait, comme dans les torrents de lave, des explosions, des ruptures à la surface et des jets perpendiculaires de matière métallique poussée au dehors par l’action du feu renfermé dans l’intérieur du lingot. Cette explication, tirée de la nature même de la chose, ne laisse aucun doute sur l’origine de ces éminences qu’on trouve fréquemment dans les vallées et les plaines que les laves ont parcourues et couvertes.

Mais lorsque, après avoir coulé de la montagne et traversé les campagnes, la lave toujours ardente arrive aux rivages de la mer, son cours se trouve tout à coup arrêté, le torrent de feu se jette comme un ennemi puissant et fait d’abord reculer les flots ; mais l’eau, par son immensité, par sa froide résistance et par la puissance de saisir et d’éteindre le feu, consolide en peu d’instants la matière du torrent, qui dès lors ne peut aller plus loin, mais s’élève, se charge de nouvelles couches, et forme un mur à-plomb, de la hauteur duquel le torrent de lave tombe alors perpendiculairement, et s’applique contre le mur à-plomb qu’il vient de former : c’est par cette chute et par le saisissement de la matière ardente, que se forment les prismes de basalte[2] et leurs colonnes articulées. Ces prismes sont ordinairement à cinq, six ou sept faces, et quelquefois à quatre ou à trois, comme aussi à huit ou neuf faces ; leurs colonnes sont formées par la chute perpendiculaire de la lave dans les flots de la mer, soit qu’elle tombe du haut des rochers de la côte, soit qu’elle forme elle-même le mur à-plomb qui produit sa chute perpendiculaire : dans tous les cas, le froid et l’humidité de l’eau qui saisissent cette matière toute pénétrée de feu, consolidant les surfaces au moment même de sa chute, les faisceaux qui tombent du torrent de lave dans la mer s’appliquent les uns contre les autres ; et, comme la chaleur intérieure des faisceaux tend à les dilater, ils se font une résistance réciproque, et il arrive le même effet que dans le renflement des pois, ou plutôt des graines cylindriques, qui seraient pressées dans un vaisseau clos rempli d’eau qu’on ferait bouillir ; chacune de ces graines deviendrait hexagone par la compression réciproque ; et, de même, chaque faisceau de lave devient à plusieurs faces par la dilatation et la résistance réciproques ; et lorsque la résistance des faisceaux environnants est plus forte que la dilatation du faisceau environné, au lieu de devenir hexagone, il n’est que de trois, quatre ou cinq faces : au

    nent un volume de 8 à 10 pouces de diamètre, sans se crever ; lorsque la vitrification en est moins achevée, et qu’elle a une consistance visqueuse et tenace, ces bulles occupent peu de volume, et la matière, en s’affaissant sur elle-même, forme des éminences concaves, que l’on nomme yeux-de-crapaud. Ce qui se passe ici en petit dans le laitier des fourneaux de forge, arrive en grand dans les laves des volcans.

  1. Je ne parle pas ici des autres causes particulières qui souvent occasionnent la courbure des lingots de fonte : par exemple, lorsque la fonte n’est pas bien fluide, lorsque le moule est trop humide, ils se courbent beaucoup plus, parce que ces causes concourent à augmenter l’effet de la première ; ainsi l’humidité de la terre, sur laquelle coulent les torrents de la lave, aide encore à la chaleur intérieure à en soulever la masse, et à la faire éclater en plusieurs endroits par des explosions suivies de ces jets de matière dont nous avons parlé.
  2. Je n’examinerai point ici l’origine de ce nom basalte, que M. Desmarets, savant naturaliste, de l’Académie des sciences, croit avoir été donné par les anciens à deux pierres de nature différente ; et je ne parle ici que du basalte lave qui est en forme de colonnes prismatiques.