Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 2.pdf/334

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rence d’un lac médiocrement agité, et le bruit qu’il produit est semblable à celui des vagues.

» De minute en minute, il se fait de cette matière des élans, comme ceux d’un gros jet d’eau ou de plusieurs jets d’eau réunis ensemble ; ces élans produisent une gerbe ardente qui s’élève à la hauteur de 30 à 40 pieds, et retombe en différents arcs, partie dans son propre bassin, partie dans le fond du second bassin couvert de la matière noire : c’est la lueur réfléchie de ces jets ardents, quelquefois peut-être l’extrémité supérieure de ces jets même, qu’on voit depuis Naples pendant la nuit. Le bruit, que font ces élans dans leur élévation et dans leur chute, paraît composé de celui que fait un feu d’artifice en partant, et de celui que produisent les vagues de la mer poussées par un vent violent contre un rocher.

» Ces bouillonnements entremêlés de ces élans produisent un transvasement continuel de cette matière. Par l’ouverture de 4 pieds, qui se trouve à la base du monticule, on voit couler sans discontinuer un ruisseau ardent de la largeur de l’ouverture, qui dans un canal incliné et avec un mouvement moyen descend dans le second bassin, couvert de matière noire, s’y divise en plusieurs ruisselets encore ardents, s’y arrête et s’y éteint.

» Ce ruisseau ardent est actuellement une nouvelle lave, qui ne coule que depuis huit jours ; et, si elle continue et augmente, elle produira avec le temps un nouveau dégorgement dans la plaine, semblable à celui qui se fit il y a deux ans : le tout est accompagné d’une épaisse fumée qui n’a point l’odeur du soufre, mais celle précisément que répand un fourneau où l’on cuit des tuiles.

» On peut sans aucun danger faire le tour de la cime sur le bord de la croûte, parce que le monticule creusé, d’où partent les jets ardents, est assez distant des bords pour ne laisser rien à craindre : on peut pareillement, sans danger, descendre dans le premier bassin ; on pourrait même se tenir sur les bords du second, si la réverbération de la matière ardente ne l’empêchait.

» Voilà l’état actuel du Vésuve, ce 15 juillet 1753 : il change sans cesse de forme et d’aspect ; il ne jette actuellement point de pierres, et l’on n’en voit sortir aucune flamme[1]. »

Cette observation semble prouver évidemment que le siège de l’embrasement de ce volcan, et peut-être de tous les autres volcans, n’est pas à une grande profondeur dans l’intérieur de la montagne, et qu’il n’est pas nécessaire de supposer leur foyer au niveau de la mer ou plus bas, et de faire partir de là l’explosion dans le temps des éruptions : il suffit d’admettre des cavernes et des fentes perpendiculaires au-dessous, ou plutôt à côté du foyer, lesquelles servent de tuyaux d’aspiration et de ventilateurs au fourneau du volcan.

M. de La Condamine, qui a eu plus qu’aucun autre physicien les occasions d’observer un grand nombre de volcans dans les Cordillères, a aussi examiné le mont Vésuve et toutes les terres adjacentes.

« Au mois de juin 1755, le sommet du Vésuve formait, dit-il, un entonnoir ouvert dans un amas de cendres, de pierres calcaires et de soufre, qui brûlait encore de distance en distance, qui teignait le sol de sa couleur, et qui s’exhalait par diverses crevasses dans lesquelles la chaleur était assez grande pour enflammer en peu de temps un bâton enfoncé à quelques pieds dans ces fentes.

» Les éruptions de ce volcan sont fréquentes depuis plusieurs années ; et chaque fois qu’il lance des flammes et vomit des matières liquides, la forme extérieure de la montagne et sa hauteur reçoivent des changements considérables… Dans une petite plaine

  1. Note communiquée à M. de Buffon, et envoyée de Naples, au mois de septembre 1753.