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au temps de la seconde guerre punique. Lorsque Syracuse était assiégée par les Romains, les habitants de Taurominum envoyèrent un détachement secourir les assiégés ; les soldats furent arrêtés dans leur marche par ce torrent de lave qui avait déjà gagné la mer avant leur arrivée au pied de la montagne, il leur coupa entièrement le passage… Ce fait, confirmé par d’autres auteurs et même par des inscriptions et des monuments, s’est passé il y a deux mille ans, et cependant cette lave n’est encore couverte que de quelques végétaux parsemés, et elle est absolument incapable de produire du blé et des vins ; il y a seulement quelques gros arbres dans les crevasses qui sont remplies d’un bon terreau. La surface des laves devient avec le temps un sol très fertile.

» En allant en Piémont, continue M. Brydone, nous passâmes sur un large pont construit entièrement de lave ; près de là, la rivière se prolonge à travers une autre lave qui est très remarquable, et probablement une des plus anciennes qui soit sortie de l’Etna ; le courant, qui est extrêmement rapide, l’a rongée en plusieurs endroits jusqu’à la profondeur de 50 ou 60 pieds ; et, selon M. Recupero, son cours occupe une longueur d’environ 40 milles : elle est sortie d’une éminence très considérable sur le côté septentrional de l’Etna ; et, comme elle a trouvé quelques vallées qui sont à l’est, elle a pris son cours de ce côté, elle interrompt la rivière d’Alcantara à diverses reprises, et enfin elle arrive à la mer près de l’embouchure de cette rivière. La ville de Jaci et toutes celles de cette côte sont fondées sur des rochers immenses de laves, entassés les uns sur les autres, et qui sont en quelques endroits d’une hauteur surprenante ; car il paraît que ces torrents enflammés se durcissent en rochers dès qu’ils sont arrivés à la mer… De Jaci à Catane on ne marche que sur la lave ; elle a formé toute cette côte, et, en beaucoup d’endroits, les torrents de lave ont repoussé la mer à plusieurs milles en arrière de ses anciennes limites… À Catane, près d’une voûte qui est à présent à 30 pieds de profondeur, on voit un endroit escarpé où l’on distingue plusieurs couches de lave avec une de terre très épaisse sur la surface de chacune. S’il faut deux mille ans pour former sur la lave une légère couche de terre, il a dû s’écouler un temps plus considérable entre chacune des éruptions qui ont donné naissance à ces couches. On a percé à travers sept laves séparées, placées les unes sur les autres, et dont la plupart sont couvertes d’un lit épais de bon terreau ; ainsi la plus basse de ces couches parait s’être formée il y a quatorze mille ans… En 1669, la lave forma un promontoire à Catane, dans un endroit où il y avait plus de 50 pieds de profondeur d’eau, et ce promontoire est élevé de 50 autres pieds au-dessus du niveau actuel de la mer. Ce torrent de lave sortit au-dessus de Montpelieri, vint frapper contre cette montagne, se partagea ensuite en deux branches, et ravagea tout le pays qui est entre Montpelieri et Catane, dont elle escalada les murailles avant de se verser dans la mer ; elle forma plusieurs collines où il y avait autrefois des vallées, et combla un lac étendu et profond, dont on n’aperçoit pas aujourd’hui le moindre vestige… La côte de Catane à Syracuse est partout éloignée de 30 milles au moins du sommet de l’Etna, et néanmoins cette côte, dans une longueur de près de 10 lieues, est formée des laves de ce volcan ; la mer a été repoussée fort loin, en laissant des rochers élevés et des promontoires de laves, qui défient la fureur des flots et leur présentent des limites qu’ils ne peuvent franchir. Il y avait dans le siècle de Virgile un beau port au pied de l’Etna ; il n’en reste aucun vestige aujourd’hui ; c’est probablement celui qu’on a appelé mal à propos le port d’Ulysse : on montre aujourd’hui le lieu de ce port à 3 ou 4 milles dans l’intérieur du pays ; ainsi la lave a gagné toute cette étendue sur la mer et a formé tous ces nouveaux terrains… L’étendue de cette contrée, couverte de laves et d’autres matières brûlées, est, selon M. Recupero, de 183 milles en circonférences, et ce cercle augmente encore à chaque grande éruption. »

Voilà donc une terre d’environ 300 lieues superficielles, toute couverte ou formée par