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terrains. Les habitants disent que cela est arrivé tout à coup par l’effet d’un tremblement de terre.

Mais la force du vent, quelque violent qu’on puisse le supposer, ne me paraît pas une cause suffisante pour produire d’aussi grands effets ; et, quoiqu’il n’y ait aucune apparence de feu dans ces monticules soulevés par la commotion de la terre, je suis persuadé que ces soulèvements se sont faits par des explosions électriques de la foudre souterraine, et que les vents intérieurs n’y ont contribué qu’en produisant ces orages électriques dans les cavités de la terre. Nous réduirons donc à trois causes tous les mouvements convulsifs de la terre : la première et la plus simple est l’affaissement subit des cavernes ; la seconde, les orages et les coups de foudre souterraine ; et la troisième, l’action et les efforts des feux allumés dans l’intérieur du globe : il me paraît qu’il est aisé de rapporter à l’une de ces trois causes tous les phénomènes qui accompagnent ou suivent les tremblements de terre.

Si les mouvements de la terre produisent quelquefois des éminences, ils forment encore plus souvent des gouffres. Le 15 octobre 1773, il s’est ouvert un gouffre sur le territoire du bourg Induno, dans les États de Modène, dont la cavité a plus de quatre cents brasses de largeur sur deux cents de profondeur[1]. En 1726, dans la partie septentrionale de l’Islande, une montagne d’une hauteur considérable s’enfonça en une nuit par un tremblement de terre, et un lac très profond prit sa place : dans la même nuit, à une lieue et demie de distance, un ancien lac dont on ignorait la profondeur fut entièrement desséché, et son fond s’éleva de manière à former un monticule assez haut que l’on voit encore aujourd’hui[2]. Dans les mers voisines de la Nouvelle-Bretagne, les tremblements de terre, dit M. de Bougainville, ont de terribles conséquences pour la navigation. Les 7 juin, 12 et 27 juillet 1768, il y en a eu trois à Boéro, et le 22 de ce même mois un à la Nouvelle-Bretagne. Quelquefois ces tremblements anéantissent des îles et des bancs de sable connus ; quelquefois aussi ils en créent où il n’y en avait pas[3].

Il y a des tremblements de terre qui s’étendent très loin, et toujours plus en longueur qu’en largeur : l’un des plus considérables est celui qui se fit sentir au Canada en 1663 ; il s’étendit sur plus de deux cents lieues de longueur et cent lieues de largeur, c’est-à-dire sur plus de vingt mille lieues superficielles. Les effets du dernier tremblement de terre du Portugal se sont fait, de nos jours, ressentir encore plus loin. M. le chevalier de Saint-Sauveur, commandant pour le roi à Mérucis, a dit à M. de Gensanne qu’en se promenant à la rive gauche de la Jouante, en Languedoc, le ciel devint tout à coup fort noir, et qu’un moment après il aperçut, au bas du coteau qui est à la rive droite de cette rivière, un globe de feu qui éclata d’une manière terrible ; il sortit de l’intérieur de la terre un tas de rochers considérable, et toute cette chaîne de montagnes se fendit depuis Mérueis jusqu’à Florac, sur près de six lieues de longueur. Cette fente a dans certains endroits plus de deux pieds de largeur, et elle est en partie comblée[4]. Il y a d’autres tremblements de terre qui semblent se faire sans secousses et sans grande émotion. Kolbe rapporte que, le 24 septembre 1707, depuis huit heures du matin jusqu’à dix heures, la mer monta sur la contrée du cap de Bonne-Espérance et en descendit sept fois de suite et avec une telle vitesse que d’un moment à l’autre la plage était alternativement couverte et découverte par les eaux[5].

Je puis ajouter au sujet des effets des tremblements de terre et de l’éboulement des

  1. Journal historique et politique, 10 décembre 1773, art. Milan.
  2. Mélanges intéressants, t. Ier, p. 153.
  3. Voyage autour du Monde, t. II, p. 278.
  4. Histoire naturelle du Languedoc, par M. de Gensanne, t. Ier, p. 231.
  5. Description du cap de Bonne-Espérance, t. II, p. 237.