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réel, et ce que nous devons respecter comme une division donnée par la nature même. Ensuite mettons-nous à la place de cet homme, ou supposons qu’il ait acquis autant de connaissances, et qu’il ait autant d’expérience que nous en avons, il viendra à juger les objets de l’histoire naturelle par les rapports qu’ils auront avec lui ; ceux qui lui seront les plus nécessaires, les plus utiles, tiendront le premier rang ; par exemple, il donnera la préférence dans l’ordre des animaux au cheval, au chien, au bœuf, etc., et il connaîtra toujours mieux ceux qui lui seront les plus familiers ; ensuite il s’occupera de ceux qui, sans être familiers, ne laissent pas que d’habiter les mêmes lieux, les mêmes climats, comme les cerfs, les lièvres et tous les animaux sauvages, et ce ne sera qu’après toutes ces connaissances acquises que sa curiosité le portera à rechercher ce que peuvent être les animaux des climats étrangers, comme les éléphants, les dromadaires, etc. Il en sera de même pour les poissons, pour les oiseaux, pour les insectes, pour les coquillages, pour les plantes, pour les minéraux, et pour toutes les autres productions de la nature ; il les étudiera à proportion de l’utilité qu’il en pourra tirer, il les considérera à mesure qu’ils se présenteront plus familièrement, et il les rangera dans sa tête relativement à cet ordre de ses connaissances, parce que c’est, en effet, l’ordre selon lequel il les a acquises, et selon lequel il lui importe de les conserver.

Cet ordre, le plus naturel de tous, est celui que nous avons cru devoir suivre. Notre méthode de distribution n’est pas plus mystérieuse que ce qu’on vient de voir, nous partons des divisions générales telles qu’on vient de les indiquer, et que personne ne peut contester, et ensuite nous prenons les objets qui nous intéressent le plus par les rapports qu’ils ont avec nous, et de là nous passons peu à peu jusqu’à ceux qui sont les plus éloignés et qui nous sont étrangers, et nous croyons que cette façon simple et naturelle de considérer les choses est préférable aux méthodes les plus recherchées et les plus composées, parce qu’il n’y en a pas une, et de celles qui sont faites, et de toutes celles que l’on peut faire, où il n’y ait plus d’arbitraire que dans celle-ci, et qu’à tout prendre il nous est plus facile, plus agréable et plus utile de considérer les choses par rapport à nous que sous aucun autre point de vue[NdÉ 1].

Je prévois qu’on pourra nous faire deux objections : la première, c’est que ces grandes divisions que nous regardons comme réelles ne sont peut-être

  1. Buffon tombe dans l’excès aussi déplorable que celui qu’il a précédemment critiqué quand, rejetant toute méthode, il déclare « plus utile de considérer les choses par rapport à nous que sous aucun autre point de vue. » Cela peut être, comme il le dit aussi « plus agréable », cela peut aussi fort bien convenir pour l’instruction des enfants ; mais, quand on veut se placer sur le terrain scientifique, il faut grouper les êtres non point en vue de notre agrément, mais de façon à mettre en relief les rapports qui existent entre eux et surtout les liens de parenté qui les unissent. C’est du reste ce que Buffon lui-même a fait dans une très large mesure dans ses études sur les oiseaux et les mammifères.