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se pelotonne, s’accumule et tombe en coulant en grosses masses vers le vallon, ce qui cause une grande agitation dans l’air, parce qu’elle coule avec rapidité et en très grand volume ; et les vents que ces masses produisent sont si impétueux, qu’ils renversent tout ce qui s’oppose à leur passage, jusqu’à rompre de gros sapins. Ces lavanges couvrent d’une neige très fine tout le terrain auquel elles peuvent atteindre, et cette poudre de neige voltige dans l’air au caprice des vents, c’est-à-dire sans direction fixe, ce qui rend ces neiges dangereuses pour les gens qui se trouvent alors en campagne, parce qu’on ne sait pas trop de quel côté tourner pour les éviter, car en peu de moments on se trouve enveloppé et même entièrement enfoui dans la neige.

Une autre espèce de lavanges, encore plus dangereuses que la première, sont celles que les gens du pays appellent schlaglauwen, c’est-à-dire lavanges frappantes ; elles ne surviennent pas aussi rapidement que les premières et néanmoins elles renversent tout ce qui se trouve sur leur passage, parce qu’elles entraînent avec elles une grande quantité de terres, de pierres, de cailloux, et même des arbres tout entiers, en sorte qu’en passant et en arrivant dans le vallon, elles tracent un chemin de destruction en écrasant tout ce qui s’oppose à leur passage. Comme elles marchent moins rapidement que les lavanges qui ne sont que de neige, on les évite plus aisément : elles s’annoncent de loin, car elles ébranlent pour ainsi dire les montagnes et les vallons par leur poids et leur mouvement qui causent un bruit égal à celui du tonnerre.

Au reste, il ne faut qu’une très petite cause pour produire ces terribles effets ; il suffit de quelques flocons de neige tombés d’un arbre ou d’un rocher, ou même du son des cloches, du bruit d’une arme à feu, pour que quelques portions de neige se détachent du sommet, se pelotonnent et grossissent en descendant jusqu’à devenir une masse aussi grosse qu’une petite montagne.

Les habitants des contrées sujettes aux lavanges ont imaginé des précautions pour se garantir de leurs effets ; ils placent leurs bâtiments contre quelques petites éminences qui puissent rompre la force de la lavange ; ils plantent aussi des bois derrière leurs habitations. On peut voir au mont Saint-Gothard une forêt de forme triangulaire, dont l’angle aigu est tourné vers le mont, et qui semble plantée exprès pour détourner les lavanges et les éloigner du village d’Urseren et des bâtiments situés au pied de la montagne ; et il est défendu sous de grosses peines de toucher à cette forêt, qui est, pour ainsi dire, la sauvegarde du village. On voit de même, dans plusieurs autres endroits, des murs de précaution dont l’angle aigu est opposé à la montagne, afin de rompre et détourner les lavanges. Il y a une muraille de cette espèce à Davis, au pays des Grisons, au-dessus de l’église du milieu, comme aussi vers les bains de Leuk ou Louèche en Valais. On voit dans ce même pays des Grisons, et dans quelques autres endroits, dans les gorges de montagne, des voùtes de distance en distance, placées à côté du chemin et taillées dans le roc, qui servent aux passagers de refuge contre les lavanges[1].



  1. Histoire naturelle Helvétique, par Scheuchzer, t. Ier, p. 155 et suiv.