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3o Tous les observateurs qui ont grimpé au sommet des plus hautes montagnes conviennent qu’on y respire aussi facilement que partout ailleurs, et que la seule incommodité qu’on y ressent est celle du froid, qui augmente à mesure qu’on s’élève plus haut. Or si l’air était d’un tiers moins dense au sommet des montagnes, la respiration de l’homme et des oiseaux, qui s’élèvent encore plus haut, serait non seulement gênée, mais arrêtée, comme nous le voyons dans la machine pneumatique dès qu’on en a pompé le quart ou le tiers de la masse de l’air contenu dans le récipient.

4o Comme le froid condense l’air autant que la chaleur le raréfie, et qu’à mesure qu’on s’élève sur les hautes montagnes, le froid augmente d’une manière très sensible, n’est-il pas nécessaire que les degrés de la condensation de l’air suivent le rapport du degré du froid ? et cette condensation peut égaler et même surpasser celle de l’air des plaines où la chaleur qui émane de l’intérieur de la terre est bien plus grande qu’au sommet des montagnes, qui sont les pointes les plus avancées et les plus refroidies de la masse du globe. Cette condensation de l’air par le froid dans les hautes régions de l’atmosphère doit donc compenser la diminution de densité produite par la diminution de la charge ou poids incombant, et par conséquent l’air doit être aussi dense sur les sommets froids des montagnes que dans les plaines. Je serais même porté à croire que l’air y est plus dense, puisqu’il semble que les vents y soient plus violents et que les oiseaux qui volent au-dessus de ces sommets de montagnes semblent se soutenir dans les airs d’autant plus aisément qu’ils s’élèvent plus haut.

De là je pense qu’on peut conclure que l’air libre est à peu près également dense à toutes les hauteurs, et que l’atmosphère aérienne ne s’étend pas à beaucoup près aussi haut qu’on l’a déterminé, en ne considérant l’air que comme une masse élastique, comprimée par le poids incombant : ainsi l’épaisseur totale de notre atmosphère pourrait bien n’être que de trois lieues[NdÉ 1] au lieu de quinze ou vingt comme l’ont dit les physiciens[1].

Nous concevons alentour de la terre une première couche de l’atmosphère, qui est remplie de vapeurs qu’exhale ce globe, tant par sa chaleur propre que par celle du soleil. Dans cette couche, qui s’étend à la hauteur des nuages, la chaleur que répandent les exhalaisons du globe produit et soutient une raréfaction qui fait équilibre à la pression de la masse d’air supérieur, de manière que la couche basse de l’atmosphère n’est point aussi dense qu’elle le devrait être à proportion de la pression qu’elle éprouve ; mais à la hauteur où cette raréfaction cesse, l’air subit toute la condensation que lui donne le froid de cette région où la chaleur émanée du globe est fort atténuée, et cette condensation paraît même être plus grande que celle que peut imprimer sur les régions inférieures, soutenues par la raréfaction, le poids des couches supérieures : c’est du moins ce que semble prouver un autre phénomène qui est la condensation et la suspension des nuages dans la couche élevée où nous les voyons se tenir. Au-dessous de cette moyenne région, dans laquelle le froid et la condensation commencent, les vapeurs s’élèvent sans être

  1. Alhazen, par la durée des crépuscules, a prétendu que la hauteur de l’atmosphère est de 44 331 toises. Képler, par cette même durée, lui donne 41 110 toises.

    M. de la Hire, en parlant de la réfraction horizontale de 32 minutes, établit le terme moyen de la hauteur de l’atmosphère à 34 585 toises.

    M. Mariotte, par ses expériences sur la compressibilité de l’air, donne à l’atmosphère plus de 30 mille toises.

    Cependant, en ne prenant pour l’atmosphère que la partie de l’air où s’opère la réfraction ou du moins presque la totalité de la réfraction, M. Bouguer ne trouve que 5 158 toises, c’est-à-dire deux lieues et demie ou trois lieues ; et, je crois ce résultat plus certain et mieux fondé que tous les autres.

  1. On admet que aujourd’hui l’atmosphère terrestre a 64 kilomètres environ d’épaisseur.