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ral, indépendamment de ce que les courants et autres circonstances peuvent y déposer d’étranger à sa nature. Il est encore des fonds permanents, dont nous n’avons point parlé : ce sont ces étendues immenses de madrépores, de coraux, qui recouvrent souvent un fond de rochers, et ces bancs d’une énorme étendue de coquillages, que la prompte multiplication ou d’autres causes y a accumulés ; ils y sont comme par peuplades. Une espèce paraît occuper une certaine étendue ; l’espace suivant est occupé par une autre, comme on le remarque à l’égard des coquilles fossiles, dans une grande partie de l’Europe, et peut-être partout. Ce sont même ces remarques sur l’intérieur de la terre, et des lieux où la mer découvre beaucoup, où l’on voit toujours une espèce dominer comme par cantons, qui nous ont mis à portée de conclure sur la prodigieuse quantité des individus, et sur l’épaisseur des bancs du fond de la mer, dont nous ne pouvons guère connaître par la sonde que la superficie.

» Le fond accidentel ou particulier… est composé d’une quantité prodigieuse de pointes d’oursins de toutes espèces, que les marins nomment pointes d’alcines ; de fragments de coquilles, quelquefois pourries ; de crustacés, de madrépores, de plantes marines, de pyrites, de granites arrondis par le frottement, de particules de nacre, de mica, peut-être même de talc, auxquels ils donnent des noms conformes à l’apparence ; quelques coquilles entières, mais en petite quantité, et comme semées dans des étendues médiocres ; de petits cailloux, quelques cristaux, des sables colorés, un léger limon, etc. Tous ces corps, disséminés par les courants, l’agitation de la mer, etc., provenant en partie des fleuves, des éboulements de falaises, et autres causes accidentelles, ne recouvrent souvent qu’imparfaitement le fond général qui se représente à chaque instant, quand on sonde fréquemment dans les mêmes parages… J’ai remarqué que, depuis près d’un siècle, une grande partie des fonds généraux du golfe de Gascogne et de la Manche n’ont presque pas changé, ce qui fonde encore mon opinion sur les deux fonds[1]. »


II. — Sur les courants de la mer.

On doit ajouter, à l’énumération des courants de la mer, le fameux courant de Mosckœ, Mosche ou Male, sur les côtes de Norvège, dont un savant suédois nous a donné la description dans les termes suivants :

« Ce courant, qui a pris son nom du rocher de Moschensicle, situé entre les deux îles de Lofœde et de Woerœn, s’étend à quatre milles vers le sud et vers le nord.

» Il est extrêmement rapide, surtout entre le rocher de Mosche et la pointe de Lofœde ; mais plus il s’approche des deux îles de Woerœn et de Roest, moins il a de rapidité. Il achève son cours du nord au sud en six heures, puis du sud au nord en autant de temps.

» Ce courant est si rapide qu’il fait un grand nombre de petits tournants, que les habitants du pays ou les Norvégiens appellent Gargamer.

» Son cours ne suit point celui des eaux de la mer dans leur flux et dans leur reflux : il y est plutôt tout contraire. Lorsque les eaux de l’océan montent, elles vont du sud au nord, et alors le courant va du nord au sud ; lorsque la mer se retire, elle va du nord au sud, et pour lors le courant va du sud au nord.

» Ce qu’il y a de plus remarquable, c’est que, tant en allant qu’en revenant, il ne décrit pas une ligne droite, ainsi que les autres courants qu’on trouve dans quelques détroits, où les eaux de la mer montent et descendent ; mais il va en ligne circulaire.

» Quand les eaux de la mer ont monté à moitié, celles du courant vont au sud-sud-est. Plus la mer s’élève, plus il se tourne vers le sud ; de là il se tourne vers le sud-ouest, et du sud-ouest vers l’ouest.

  1. Journal de physique, par M. l’abbé Rozier. Mois de décembre 1775, p. 438 et suiv.