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saison la plus froide, au lieu que les autres glaces flottantes et très élevées viennent de la terre, c’est-à-dire des environs des montagnes et des côtes, d’où elles ont été détachées et roulées dans la mer par les fleuves. Ces dernières glaces entraînent beaucoup de bois, qui sont ensuite jetés par la mer sur les côtes orientales du Groenland : il paraît que ces bois ne peuvent venir que de la terre de Labrador, et non pas de la Norvège, parce que les vents du nord-est, qui sont très violents dans ces contrées, repousseraient ces bois, comme les courants qui portent du sud au détroit de Davis et à la baie d’Hudson arrêteraient tout ce qui peut venir de l’Amérique aux côtes du Groenland.

La mer commence à charroyer des glaces au Spitzberg dans les mois d’avril et de mai ; elles viennent au détroit de Davis en très grande quantité, partie de la Nouvelle-Zemble, et la plupart le long de la côte orientale du Groenland, portées de l’est à l’ouest, suivant le mouvement général de la mer[1].

L’on trouve, dans le voyage du capitaine Phipps, les indices et les faits suivants :

» Dès 1527, Robert Thorne, marchand de Bristol, fit naître l’idée d’aller aux Indes orientales par le pôle boréal… Cependant on ne voit pas qu’on ait formé aucune expédition pour les mers du cercle polaire avant 1607, lorsque Henri Hudson fut envoyé par plusieurs marchands de Londres à la découverte du passage à la Chine et au Japon par le pôle boréal… Il pénétra jusqu’au 80° 23′, et il ne put aller plus loin…

» En 1609, sir Thomas Smith fut sur la côte méridionale de Spitzberg, et il apprit, par des gens qu’il avait envoyés à terre, que les lacs et les mares d’eau n’étaient pas tous gelés (c’était le 26 mai), et que l’eau en était douce. Il dit aussi qu’on arriverait aussitôt au pôle de ce côté que par tout autre chemin qu’on pourrait trouver, parce que le soleil produit une grande chaleur dans ce climat, et parce que les glaces ne sont pas d’une grosseur aussi énorme que celles qu’il avait vues vers le 73e degré. Plusieurs autres voyageurs ont tenté des voyages au pôle pour y découvrir ce passage, mais aucun n’a réussi… »

Le 5 juillet, M. Phipps vit des glaces en quantité vers le 79° 34′ de latitude ; le temps était brumeux et le 6 juillet, il continua sa route jusqu’au 79° 59′ 39″, entre la terre du Spitzberg et les glaces : le 7 il continua de naviguer entre des glaces flottantes, en cherchant une ouverture au nord par où il aurait pu entrer dans une mer libre ; mais la glace ne formait qu’une seule masse au nord-nord-ouest, et au 80° 36′ la mer était entièrement glacée ; en sorte que toutes les tentatives de M. Phipps pour trouver un passage ont été infructueuses.

» Pendant que nous essuyions, dit ce navigateur, une violente rafale, le 12 septembre, le docteur Irving mesura la température de la mer dans cet état d’agitation, et il trouva qu’elle était beaucoup plus chaude que celle de l’atmosphère : cette observation est d’autant plus intéressante qu’elle est conforme à un passage des Questions naturelles de Plutarque, où il dit que la mer devient chaude, lorsqu’elle est agitée par les flots…

» Ces rafales sont aussi ordinaires au printemps qu’en automne ; il est donc probable que si nous avions mis à la voile plus tôt, nous aurions eu en allant le temps aussi mauvais qu’il l’a été à notre retour. » Et comme M. Phipps est parti d’Angleterre à la fin de mai, il croit qu’il a profité de la saison la plus favorable pour son expédition.

« Enfin, continue-t-il, si la navigation au pôle était praticable, il y avait la plus grande probabilité de trouver, après le solstice, la mer ouverte au nord, parce qu’alors la chaleur des rayons du soleil a produit tout son effet, et qu’il reste d’ailleurs une assez grande portion d’été pour visiter les mers qui sont au nord et à l’ouest du Spitzberg[2]. »

  1. Histoire générale des Voyages, t. XIX, p. 14 et suiv.
  2. Voyage au Pôle boréal en 1773, traduit de l’anglais. Paris, 1775, p. 1 et suiv.