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» Réitérant l’expérience le même jour, jusqu’à cinquante brasses, étant à la distance de six à sept lieues de terre, j’ai été surpris de trouver la colonne d’eau courant sur la mer, plus profonde à raison de la hauteur du fond. Sur cinquante brasses, j’en ai estimé de douze à quinze dans la première direction : ce phénomène n’a pas eu lieu pendant deux mois et demi que j’ai été sur cette côte, mais bien à peu près un mois en différents temps. Dans les interruptions, la marée descendait en total dans le golfe de Guinée.

» Cette division des courants me fit naître l’idée d’une machine qui, coulée jusqu’au courant inférieur, présentant une grande surface, aurait entraîné mon navire contre les courants supérieurs ; j’en fis l’épreuve en petit sur un canot, et je parvins à faire équilibre entre l’effet de la marée supérieure joint à l’effet du vent sur le canot, et l’effet de la marée inférieure sur la machine. Les moyens me manquèrent pour faire de plus grandes tentatives. Voilà, Monsieur, un fait évidemment vrai, et que tous les navigateurs qui ont été dans ces climats peuvent vous confirmer.

» Je pense que les vents sont pour beaucoup dans les causes générales de ces effets, ainsi que les fleuves qui se déchargent dans la mer le long de cette côte, charroyant une grande quantité de terre dans le golfe de Guinée : enfin le fond de cette partie, qui oblige par sa pente la marée de rétrograder lorsque l’eau étant parvenue à un certain niveau se trouve pressée par la quantité nouvelle qui la charge sans cesse, pendant que les vents agissent en sens contraire sur la surface, la contraint en partie de conserver son cours ordinaire. Cela me paraît d’autant plus probable que la mer entre de tous côtés dans ce golfe, et n’en sort que par des révolutions qui sont fort rares. La lune n’a aucune part apparente dans ceci, cela arrivant indifféremment dans tous ses quartiers.

» J’ai eu occasion de me convaincre de plus en plus que la seule pression de l’eau parvenue à son niveau, jointe à l’inclinaison nécessaire du fond, sont les seules et uniques causes qui produisent ce phénomène. J’ai éprouvé que ces courants n’ont lieu qu’à raison de la pente plus ou moins rapide du rivage, et j’ai tout lieu de croire qu’ils ne se font sentir qu’à douze ou quinze lieues au large, qui est l’éloignement le plus grand le long de la côte d’Angole, où l’on puisse se promettre avoir fond… Quoique sans moyens certains de pouvoir m’assurer que les courants du large n’éprouvent pas un pareil changement, voici la raison qui me semble l’assurer. Je prends pour exemple une de mes expériences faite par une hauteur de fond moyenne, telle que trente-cinq brasses d’eau ; j’éprouvais, jusqu’à la hauteur de cinq à six brasses, le cours dirigé dans le nord-nord-ouest. En faisant couler davantage, comme de deux à trois brasses, ma ligne tendait à l’ouest-nord-ouest ; ensuite trois ou quatre brasses de profondeur de plus me l’amenaient à l’ouest-sud-ouest, puis au sud-ouest et au sud ; enfin, à ving-cinq et vingt-six brasses au sud-sud-est, et, jusqu’au fond, au sud-est et à l’est-sud-est, d’où j’ai tiré les conséquences suivantes, que je pouvais comparer l’océan entre l’Afrique et l’Amérique à un grand fleuve dont le cours est presque continuellement dirigé dans le nord-ouest ; que, dans son cours, il transporte un sable ou limon qu’il dépose sur ses bords, lesquels, se trouvant rehaussés, augmentent le volume d’eau, ou, ce qui est la même chose, élèvent son niveau et l’obligent de rétrograder selon la pente du rivage. Mais il y a un premier effort qui le dirigeait d’abord ; il ne retourne donc pas directement, mais obéissant encore au premier mouvement, ou cédant avec peine à ce dernier obstacle, il doit nécessairement décrire une courbe plus ou moins allongée, jusqu’à ce qu’il rencontre ce courant du milieu avec lequel il peut se réunir en partie, ou qui lui sert de point d’appui pour suivre la direction contraire que lui impose le fond. Comme il faut considérer la masse d’eau en mouvement continuel, le fond subira toujours les premiers changements comme étant plus près de la cause et plus pressé, et il ira en sens